France ZOBDA Actrice et Productrice
Jean Gabin aurait pu lui dire « T’as d’beaux yeux, tu sais ? ». Originaire de Martinique, France Zoba est arrivée en métropole pour ses études à l’âge de 17 ans. Issue d’une famille d’artistes, elle découvre tardivement le théâtre qui lui ouvre ensuite des perspectives au cinéma.
Sa beauté exotique et ses magnifiques yeux bleus lagons se révèlent au grand public dans le film ‘’Les Caprices d’un fleuve’’ de Bernard Giraudeau. A l’écran et sur les affiches de ‘Meurtres en Martinique’ (2016) France Zobda évolue entre cinéma, théâtre, séries télévisées, et s’essaie même à la production avec le film ‘Fais danser la poussière’ de Christian Faure (2009). Talentueuse et belle, en repérage aux Antilles et pour l’avant première du téléfilm pour France 2, elle nous parle du cinéma Antillais qui est en marche, et qui peine à trouver sa place dans les salles et les productions.
97L : Vous détenez le record mondial Guiness des nuances d’yeux, sept à gauche et quatre à droite, votre réaction ?
C’est une anomalie avec laquelle j’ai dû apprendre à vivre et ai tout fait pour accepter cette différence, ce qui ne me pose plus aucun problème aujourd’hui.
97L : Vous avez marqué le cinéma français dans ‘’ Les Caprices d’un fleuve’’ de Bernard Giraudeau avec le rôle d’une métisse envoûtante et mystérieuse. Quel souvenir et expérience en gardez-vous ?
Une merveilleuse expérience avec un réalisateur esthète, exigeant et respectueux. Un film devenu culte mais qui n’a pas été reconnu à sa juste valeur à l’époque, ce qui a chagriné Bernard qui pensait avoir fait un vrai éloge du métissage qui permettrait de mieux comprendre la relation entre l’Afrique et la France mais les médias n’ont adhéré ni au film ni à son propos, à l’époque. Nous en avons tous été déçus mais cela reste pour nous une très belle aventure et un bel engagement. Ce fut aussi la découverte du Sénégal que je ne connaissais pas, Dakar, St-Louis, et surtout l’Ile de Gorée où était construite « ma maison »… Beaucoup d’émotion et d’histoire…
97L : Présentez nous ELOA Prod…
ELOA PROD est né en 2005, du désir de la visibilité d’une France telle qu’elle est actuellement. Nous avions l’impression d’être des « laissés-pour-compte », nous les Français de l’autre bord. Nous avons préféré le vecteur de la télévision qui est plus populaire et s’adresse à un plus large public. De surcroît, le Service Public à la « mission » de la représentativité de toutes les cultures composant la France. Nous avons donc voulu proposer des projets mélangeant les cultures à l’écran au reflet de la société française et plus universellement au reflet du monde d’aujourd’hui. Notre but est de permettre de découvrir ou faire redécouvrir notre Histoire, nos histoires à travers des fictions pour permettre à un plus grand nombre de mieux nous connaître et nous identifier…
97L : La littérature antillaise est riche. Quels romans aimeriez-vous adaptater au cinéma ?
« Tituba, sorcière noire de Salem » de Maryse Condé, « Le papillon dans la Cité » de Gisèle Pineau, « Gwopwèl, vies coupées » de Tony Delsham, « Télumée Miracle » de Simone Schwartzbart ou encore « La Vierge du Grand retour » ou « Le meurtre du samedi Gloria » de Raphaël Confiant, pour ne citer qu’eux… Il y en aurait pas mal car notre littérature regorge de sujets, de thèmes et d’histoires que j’aimerais adapter si on m’en donnait la possibilité, les moyens et la liberté ! Nos auteurs sont d’une richesse et d’un talent incroyables.
97L : Quel est le pays et le sujet que vous auriez souhaité filmer ?
La Caraïbe, en général, pour parler de la jeunesse, de son état actuel de ses attentes et de ses déceptions ou espoirs… Et traiter du regard de la Femme Caribéenne en tant que poto-mitan et que « gardienne du temple » familial, social et mémoriel.
97L : Que représentent le Festival de Cannes ou le FEMI de Guadeloupe pour les réalisateurs et les productions afro-caribéennes ?
Le Festival de Cannes représente le champ des possibles pour les réalisateurs et producteurs le temps de son déroulement. Comme tout le monde, à ce moment, on peut exister et y croire car les rencontres sont possibles et les barrières tombent par endroit. Il manque juste des films qui les mettent en lumière pour exister vraiment et avoir enfin les regards posés sur eux et ça c’est trop rare ! Le FEMI, lui, permet aux réalisateurs et aux productions de se retrouver et de se « rassembler », d’échanger leurs expériences, de ne pas se « sentir seul » et d’avoir enfin les projecteurs un peu sur eux.
97L : Pour la 2ème année de suite, on constate l’absence de Noirs parmi les nommés aux Oscars et à la Cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes, qu’en pensez-vous ?
C’est une triste constatation que de se voir « absents » ou non représentés partout où il le faudrait. Aux César, aux Molière… dans beaucoup de manifestations où les artistes ont leur place et nous pas. Aux Oscar, c’était d’autant plus flagrant qu’il y en a beaucoup sur les écrans de cinéma qui nous font rêver ou espérer et nous permettent d’exister à travers eux mais cette année, on a eu la sensation qu’on les a « oubliés » !
97L : Quel est votre rôle dans « Meurtres à la Montagne Pelée » du réalisateur Philippe Niang, avec Olivier Marchal et Sara Martins ?
Le film s’appelle désormais « Meurtres en Martinique » car la Martinique y est représentée plus largement que prévu, pas seulement le Nord.
Le cadavre d’une jeune femme est trouvé par des randonneurs sur les flancs de la Montagne Pelée. Deux policiers mènent l’enquête, une jeune femme de la police scientifique débarquant de Paris, Sara Martins et un vieux roublard de la police locale, Olivier Marchal. Moi je suis la Commissaire Magaly avec un fils rebelle qui me reproche de l’avoir ramené en Martinique sans son avis. C’est un personnage ferme, serein mais efficace et déterminé. Je l’ai composé et interprété avec plaisir.
En proposant à France 3 ce projet qui fait partie d’une collection « Meurtre à… » alliant culture et légende, j’ai pensé judicieux de présenter une Région de France d’Outremer, en l’occurrence, la Martinique. Une Martinique contemporaine et une piqûre de rappel de notre Histoire…
97L : La préparation d’un film est un chantier qui prend souvent plusieurs années. Quelles sont les difficultés que l’on rencontre avant la sortie en salle ?
La difficulté parfois est la communication, l’exposition et la promotion pour certains qui ne suit pas et est forcément nuisible car ce sont souvent les médias qui permettent de faire le buzz et s’ils sont absents ou ne s’intéressent pas à un film, les salles peuvent être vides malgré la qualité du film. Et le plus dur déjà est de pouvoir trouver un distributeur qui fasse que le film soit bien exposé dans de grandes salles. Car une sortie dans peu de salles tue un film d’avance !
97L : Pourquoi manque-t-on de jeunes réalisateurs et producteurs dans le cinéma Afro-Caribéen. Le milieu est-il plus compliqué ou la concurrence plus importante ?
Les deux… C’est une jungle où il faut savoir se défendre, trouver sa place et c’est de plus en plus difficile car l’étau se resserre de plus en plus et il y a toujours autant d’appelés, encore mois d’élus et bien moins d’argent. On ne manque pas de talents, il faut qu’on leur donne la possibilité de faire leurs preuves pour qu’ils soient reconnus dans le milieu professionnel auquel ils doivent se confronter sinon on ne leur donnera pas de « crédit ». La concurrence est rude mais elle est partout, encore plus que jamais dans un monde devenu trop individualiste et dans un métier très prisé, qui fait « rêver » !
Je conseille aux Jeunes d’y croire et de ne jamais lâcher l’affaire même si la montagne est dure à gravir. Il faut avoir des convictions et suivre son désir. C’est un métier passionnant qui demande patience et volonté. Il faut surtout fonctionner en « réseaux » et s’entraider car la solidarité et la générosité dans ce métier sont rares mais portent ses fruits si on sait s’entourer. Il faut être exigeant professionnellement et ne pas hésiter à apprendre toujours et encore et à accepter des opportunités et des expériences hors du commun. Il faut savoir quelquefois prendre des risques et « sauter sans filet »… Il faut y croire !
97L : Quel est votre combat de femme ?
Mon combat est celui de beaucoup de femmes : se faire accepter telle que l’on est sans avoir besoin de se compromettre mais avec son talent et uniquement ses compétences. J’ai tenté de faire de mon métissage cette richesse qui la compose et m’a permis le passeport universel. Dans ma carrière ça a été un combat de tous les jours mais lorsqu’on se sent « ambassadrice », on avance avec bonheur et avec la « mission » et le désir de bien représenter les Siens.
97L : Pour conclure, les projets pour ELOA PROD ?
Nous préparons un prochain téléfilm pour France 2 en 2X90 minutes traitant des émigrations ultramarines des Années 60 à aujourd’hui à travers une saga familiale, c’est une fiction traitant de 6 décennies et de 3 générations… L’occasion de parler du BUMIDOM et de toutes les strates politiques qui ont marqué ces 6 décennies, libérer la parole sur cette page de notre histoire qui a marqué toute une génération. Nous allons pouvoir parler de 3 générations qui se sont croisées et entremêlées. Et peut-être enfin répondre à la question « Pourquoi y a-t-il tant d’Antillais en France ? » Nous allons tourner la suite d’un polar en 2X90 minutes, « La Promesse du Feu », réalisé par Christian Faure et que nous avons tourné l’année dernière à Montpellier… Et quelques autres projets en chantier, en écriture…
Propos recueillis de Wanda NICOT
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