Comme les Aiglons « En pé ké coupé bab la »
Les Aiglons, groupe musical guadeloupéen, créé en 1970, était le groupe antillais qui pouvait se targuer d’avoir le titre le plus vendu aux Antilles, « Cuisse la », jusqu’au tube de 1988 de Kassav Zouk la sé sel médikaman nou ni. Une autre chanson des Aiglons, a également déferlé sur les ondes et interrogeait la pilosité faciale. Après des années de recherche musicale, Michel Nerplat, Michel Monrose, Serge Yéyé, les frères d’Alexis rendaient leur verdict : En péké coupé Bab La, je ne me couperai plus la barbe.
Le chanteur des Aiglons faisait-il sienne cette citation d’Anne-Gabriel Meunier de Querlan( 1887-1895).« Chez cet homme glabre, il y a quelque chose d’horrible »? Etait-ce la dénonciation du fondamentalisme religieux, une satire des messages à connotation intégriste, ou alors nos musiciens voulaient-ils simplement revendiquer leur attachement pulsionnel à cette caractéristique pileuse ?
Le chancelier d’Angleterre Thomas More ( 1478-1535 ) considérait sa barbe comme une personne. Condamné à la décapitation par les juges d’Henri VIII , il mit sa tête sur le billot, mais y ayant coincé sa barbe, il dit à l’exécuteur :
« Ma barbe n’a pas commis de trahison, il n’est pas juste qu’elle soit coupée ».
Etait-elle pour les Aiglons le signe de passage de l’état d’expérimentations artistiques un peu désordonnées à un stade de plein accomplissement musical ? Quitard dans « Pogonologie », La Presse 1858, affirmait : « C’est un fait digne de la plus sérieuse considération que la barbe se montra constamment auprès du berceau des empires et le rasoir auprès de leur tombeau ».
Les Aiglons en avaient-ils pris conscience dans leur quête artistique ? Les barbes avaient-elles été le moteur de leur explosion musicale ? Dès lors, se raser la barbe n’était-il pas de nature à assécher pour toujours leurs sources d’inspiration ?
Autre possibilité. La barbe serait un signe de ralliement pour les hommes virils. La revue Nature a publié en 1970 un article établissant que la pousse de la barbe chez l’homme était sensiblement plus rapide pendant les périodes d’activité sexuelle ( Effects of sexual activity beard growth in men, Nature, 226 869-870). Les Aiglons étaient les spécialistes des chansons à double sens,comme dans « Californie », où ils contaient leur fabuleux voyage dans l’état américain, en insistant sur la syllabe Cal. Le cal en créole étant le coït. On remarque aussi que l’anagramme de Californie donne « il fornica » . Les Aiglons, ces poètes contemporains, auraient ainsi décliné à partir de variations musicales sur la thématique de la barbe, leurs interrogations à la fois charnelles, esthétiques, oniriques et existentielles.
Indiquaient-ils à leurs admirateurs que la barbe était à la fois symbole de paix mais aussi de guerre, d’ amour, mais aussi de haine, d’attirance, mais aussi de répulsion, repoussoir ( Nous pensons à BAB SAL, le premier SDF de Pointe-à-Pitre ainsi affligé ce de sobriquet – barbe sale-), ou attribut de mode et de séduction ?
Et si encore une fois Patrick Saint-Eloi nous avait fait signe. Dans sa chanson « yeux d’amour, yeux de haine », ne nous disait-il pas :
Ou pé enmé avè zyé a’w
Rayi èvè zyé aw
é padoné osi
Fè mal avè zyé a’w
Jalou avè zyé a’w
ou pé chwazi avè zyé a’w
Jijé avè zyé a’w
é Karésé
Nous livrons pour les non créolophones, la traduction de ces magnifiques paroles en remplaçant simplement le mot yeux par le mot barbe .
Barbe d’amour, barbe de haine…
( Car )Tu peux aimer avec ta barbe
Haïr avec ta barbe
Et pardonner aussi
Faire du mal avec ta barbe
être jaloux avec ta barbe
Tu peux choisir avec ta barbe
Juger avec ta barbe
Et caresser
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