Charlise Curier : « Une Bumidomienne bien sa peau »
A travers son roman : « Mon aventure avec le Bumidom », elle explique son parcours depuis son départ pour la France, jusqu’à son retour dans son île après un très long séjour hors de ses murs. Si le Bumidom sert de fil rouge à cet ouvrage écrit sans colère vis à vis de cette société d’État qu’était le Bumidom, Charlise Curier néanmoins donne un bon coup de pied dans la fourmilière, pour expliquer que les promesses faites avant le départ, n’étaient en réalité que la carotte tendue à l’âne pour le faire avancer.
Elle ne fait pas le procès du Bumidom, mais narre son parcours atypique qui ne fut pas toujours un long fleuve tranquille. Le « Bibidom » comme on disait à l’époque a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais l’encrier des souvenirs pour ceux qui partirent pour un avenir meilleur est loin de se tarir.
Alors que Charlise a 18 ans et s’apprête à passer son bac, l’envie d’aller voir ailleurs ce qui se passe la taraude à un point tel, qu’elle va franchir le pas. A la maison, l’argent manque, et elle veut aider financièrement ses parents. Quand l’agent du Bumidom à qui elle s’adresse lui dit, qu’avec son niveau elle pourra être facilement OS, elle est un peu ébranlée. Ouvrière spécialisée, ça sonne bien, même si elle ne sait pas ce que cela veut dire vraiment. Et puis, le coup de grâce est donné quand ce même homme lui annonce que le voyage, l’hébergement et la formation sont pris en charge. Voilà comment le 20 avril 1971, Charlise va quitter la Guadeloupe sur un magnifique paquebot. Sur ce bateau, elle va faire la connaissance de quelques personnes dont Marie-Claude et Alexis qui lui seront d’un précieux secours par la suite.
Son arrivée sur le sol « métropolitain » se fera 12 jours après son dépar, pour Marseille, puis elle rejoindra sa destination finale « Crouy sur Ourq » en Seine et Marne. Le trajet sera interminable, huit heures de route en bus. Jamais elle n’avait fait un trajet si long en voiture. Mais pour être OS cela demande quelques sacrifices, alors c’est de bonne grâce qu’elle se plie aux exigences des personnes chargées de sa formation. Très vite, elle se rend compte que cette formation consiste à faire d’elle, une excellente bonne à tout faire. En fait d’ouvrière spécialisée, elle sera « bonniche », probablement pour une famille bourgeoise de la Capitale. Ce n’est pas ce qu’elle est venue faire en France, elle aspire à autre chose.
Elle ne va pas rester longtemps sous le joug du Bumidom, car elle ne veut pas devenir comme certaines : prostituée, alcoolique, voire sombrer dans la folie ou autres fortunes diverses, si les choses tournent mal. Elle n’a aucun mal à comprendre que l’eldorado véhiculé par le Bumidom en venant en France n’est que de la poudre aux yeux.
Si beaucoup de « bumidomiennes » ne peuvent se sortir de ce miroir aux alouettes, Charlise va agir tout autrement. Il faut dire qu’elle a un atout que ne possèdent pas beaucoup de ses compatriotes qui se retrouvent dans la même galère qu’elle. Elle a un niveau scolaire tout à fait honorable qui va lui ouvrir certaines portes, même si ce sont pour des emplois passagers. Avec l’aide d’amies sincères et d’Alexis, elle arrive à subsister, mais cela n’a pas été facile tous les jours.
Petit à petit, elle s’éloigne définitivement du Bumidom, fonde une famille et donnera naissance à deux garçons. Mais comme cela arrive parfois, le couple ne tiendra pas. Elle se remarie, mais nouvel échec. Finalement Charlise reviendra en Guadeloupe pour vivre enfin sa vie de femme guadeloupéenne toujours prête à s’investir pour des causes qui lui paraissent justes.
Mon aventure avec le Bumidom, une bonne lecture pour mieux comprendre ce que fut le parcours de certains pour ne pas lâcher-prise, quand isolés de leur famille, leur destinée fut souvent la descente aux enfers. Encore aujourd’hui, certains qui ont fait le grand saut via le canal du Bumidom, ont du mal à parler de cette période, qui fut la honte de leur vie. Mais tout ne fut pas négatif dans ces voyages sans billet de retour car il y eut aussi de très nombreux cas de réussite. Il fallait le dire.
Hugues Pagesy
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