Société

8000 réunionnaises avortées contre leur gré en toute impunité

Françoise Vergès, docteur en Sciences Politiques et historienne, spécialiste de l’esclavage notamment de La Réunion  revient sur une affaire tombée dans l’oubli dans «le Ventre des femmes». En 1969, 8000 Réunionnaises ont subi des ligatures des trompes ou des avortements forcés parfois à 8 mois de grossesse.

ventre des femmes

L’affaire débute à Trois Bassins, quand un médecin de la Croix-Rouge diagnostique pour une jeune fille de 17 ans une hémorragie consécutive à un avortement et un curetage. Il dépose une plainte contre X (l’avortement illégal à cette époque). L’enquête conclue que cet acte n’est pas un cas isolé, des milliers de femmes noires et pauvres ayant subi avortements et stérilisations à leur insu. Des ligatures des trompes ou des avortements pour des femmes enceintes parfois de 8 mois, et le nombre de journées d’hospitalisation décuplé (4000 en 1968 à 44.000 en 1969) à la Réunion.

Les accusés, des médecins blancs (chaque avortement facturé à la Sécurité sociale 500 francs) au procès justifient leurs pratiques d’avortements et de stérilisations par un aval gouvernemental « La Sécurité sociale, le président du Conseil général… ont donné le feu vert pour les stérilisations.» «Tout le monde savait…»  et affirmer à la barre « L’avortement est la seule solution valable au problème démographique tragique dans ce département» dans la logique de Papa Debré décrivant la population créole composée de «femmes débiles, amorales, cyclothymiques» et d’hommes qui ne sont que «paresse, veulerie, éthylisme et violence».

Au final, seules deux condamnations seront prononcées, deux non-Blancs : un infirmier d’origine indienne, et un médecin d’origine marocaine. Les victimes de la clinique, elles ne reçurent aucune d’indemnisation.

« Les avortements et les stérilisations forcés à La Réunion ne constituent… pas un incident regrettable et marginal et ils ne s’expliquent pas seulement parce que des hommes blancs sûrs de leur impunité ont abusé de leur pouvoir » écrit Françoise Verges. « Ils sont profondément révélateurs d’une colonialité républicaine. Ce qui se passe dans les outre-mer dans les années 1960-1980 rend visible une nouvelle configuration de la société française que l’on peut appeler « postcoloniale », de son espace et du contenu donné à « l’identité nationale » et au récit « national » ».

« … Pendant le procès, les inculpés déclarent avoir été encouragés indirectement par les politiques antinatalistes que l’État a mises en place dans les départements d’outre-mer et directement par ses représentants sur l’île, alors que la contraception et l’avortement sont criminalisés et durement réprimés en France…

La contradiction n’est qu’apparente. C’est le même contrôle du corps des femmes qui est visé en France et dans les départements d’outre-mer, mais il n’est pas pratiqué de la même manière dans les deux lieux. En France, l’État veut que les femmes fassent des enfants; dans les DOM, il lance des campagnes antinatalistes agressives et retarde systématiquement la mise en œuvre des lois sociales de protection des femmes enceintes… Dans les colonies devenues départements d’outre-mer, la reproduction a été intégrée dans la logique du capitalisme racial. Autrement dit, les politiques de reproduction sont adaptées aux besoins de la ligne de couleur dans l’organisation de la main-d’œuvre : le ventre des femmes a été racialisé…

Cet ouvrage cherche à introduire des voix dissonantes dans le récit du féminisme. Car les femmes des outre-mer, qu’elles soient esclaves, engagées ou colonisées, existent à peine dans les analyses féministes, qui les traitent au mieux comme des témoins d’oppressions diverses, mais jamais comme des personnes dont les paroles singulières remettraient en cause un universalisme qui masque un particularisme ».

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