Culture

UN FILM QUI REECRIT L’HISTOIRE DU CLOWN CHOCOLAT

« Mélo et bons sentiments » Des extraits de la critique de Sylvie Chalaye parue dans Africulture

Rien de nouveau sous le soleil. Le film qui devait sauver la mémoire du Clown Chocolat et faire connaître au plus grand nombre son histoire ne fait que nous éloigner davantage du réel en nous le montrant à travers le prisme déformant d’un mélodrame sordide et condamne encore une fois le vrai Chocolat à disparaître pour laisser place dans les mémoires à la chute vertigineuse d’un pauvre nègre qui a voulu s’arracher à sa condition, sortir de sa peau et que la fatalité ramène à son point de départ. Chocolat aurait dû rester à sa place et il meurt d’avoir voulu s’élever plus haut.

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@circopedia.org

Non seulement cette morale fataliste n’aide pas les afro-descendants de France à sortir de la neurasthénie, mais surtout elle ne correspond en rien à la destinée étonnante de cet enfant d’esclave cubain que son étoile a conduit jusqu’à la piste du Nouveau Cirque dans le Paris de la Belle Epoque et dont la notoriété auprès du grand public a été extraordinaire…

… Chocolat, était loin d’être le premier et le seul artiste noir de la scène parisienne. Dès 1880, nombreux étaient les Noirs venant des Amériques à tenter leur chance au music-hall, musiciens, banjoïste, danseurs, cascadeurs, boxeurs, catcheurs… Or la dimension américaine, qui inspira les cascades de Chocolat n’est pas du tout présente…

Le film est annoncé comme historique et adapté par Olivier Gorce et Cyril Gély de la biographie publiée chez Bayard par Gérard Noiriel, historien des immigrations. Pourtant le peu que l’on sait de la vie réelle de celui qui passa à la postérité sous le nom de Chocolat est entièrement déformée, et réaménagée par les scénaristes pour les besoins du tournage…

Alors que Chocolat connaît le succès bien avant son tandem avec Footit grâce à un spectacle qui fit fureur au nouveau cirque en 1888, La Noce de Chocolat, le film en fait un Noir perdu dans un cirque de campagne en 1897 et réduit à jouer les cannibales de foire, couvert d’une peau de bête en compagnie d’un chimpanzé. L’ensemble du film se focalise sur le tandem et sa réussite au Nouveau Cirque et le scénario réduit Chocolat à l’image qu’en a laissé un dessin publicitaire de Toulouse-Lautrec, le nègre du Nouveau Cirque à qui Footit assène chaque soir des coups de pieds au cul.

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Le film raconte au final une amitié impossible entre le Blanc et le Noir… Footit apparaît comme l’ami raisonnable, sombre et taciturne, alors que Chocolat, courtise les femmes, fréquente des tripots douteux, joue, s’encanaille, fume (ce qui est peu probable car à l’époque les hommes chiquaient le tabac), prend du laudanum, dépense sans compter et contracte des dettes insurmontables. Il joue les dandy nègres arborant un superbe costume avec canne et chapeau-claque, puis voilà qu’il est arrêté par la Maréchaussée, car il a été dénoncé comme n’ayant pas de papier. Encore une invraisemblance. Vers 1900, les papiers d’identité n’existent pas… Finalement Chocolat apparaît comme celui qui ne pense qu’à boire et à faire la fête, qui n’est jamais à l’heure… mais ce n’est pas la figure de Chocolat. Il endosse au final tous les clichés nègres de la Belle Époque, du cannibale fantasmé au dandy… Footit incarne la persévérance, la fidélité et la constance. Il ne tournera jamais le dos à son ami et lui donne même de l’argent pour survivre. Chocolat meurt dans ses bras de la tuberculose… Difficile de faire plus mélodramatique !

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L’aventure théâtrale de Chocolat avec Firmin Gémier, le directeur du Théâtre Antoine est également entièrement déformée. Une autre invraisemblance fait de Chocolat un amateur de Shakespeare, qui dit avoir lu trois fois Roméo et Juliette sa pièce préférée, mais l’Haïtien mystérieux, lui recommande Othello, la pièce qui lui correspond mieux. Et Gémier va donc diriger Chocolat dans le rôle d’Othello, le film n’en est plus à une approximation près ! Après les doutes les plus grands et les moqueries des journaux, Chocolat qui a exigé que son nom « Rafaël Padilla » soit à l’affiche, une autre impossibilité, incarne un magistral Othello, mais le public n’est pas prêt et c’est l’indignation. Joli détournement ! Car l’histoire n’est pas du tout celle-là. Gémier avait sollicité Chocolat pour jouer au théâtre Antoine dans Moïse, une pochade politique d’Edmond Guiraud qui évoquait la présence du député guadeloupéen Hegésippe Légitimus à l’Assemblée. Chocolat dont la diction n’était en effet pas très bonne fut ridiculisé dans les journaux qui publièrent de fausses interviews humoristiques faisant parler Chocolat petit-nègre. Mais il faut se rappeler que Chocolat parlait l’espagnol des bas quartiers, et ne savait ni lire ni écrire comme la majorité des gens du peuple à la fin du XIXe siècle…

Le film ne raconte pas l’histoire de Chocolat, mais représente une variation qui devient une fable moralisatrice et mélodramatique à la manière de certains contes du XIX siècle. Pourtant le film va jusqu’à jouer d’un effet de réel à la fin avec quelques lignes sur la mort de Chocolat et les vraies images des frères Lumières qui ont filmé des numéros de Footit et Chocolat. Il y a là à l’évidence un petit problème d’éthique. Quel est le véritable projet du film ? Faire de Chocolat une victime à tout crin ? Un raté que Footit a tenté de sortir de l’ornière, mais qui s’est retourné contre son compagnon bienfaiteur, car il ne supportait plus l’humiliation après ses rêves d’émancipation ?…

Réduire l’aventure de Chocolat au duo qu’il a formé avec Footit jusqu’à inventer que Chocolat aurait demandé que Footit soit retiré des affiches Felix Potin parce qu’il ne voulait plus apparaître comme celui à qui on botte le cul, c’est tordre l’histoire et la caricaturer, surtout que l’affiche incriminée ne représente pas Chocolat, mais Oncle Tom un chocolat « battu et content » dit le slogan qui se veut humoristique, elle date de 1922, donc bien après la mort de Chocolat, et est même signée Joe Bridge, un célèbre affichiste.

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Vouloir stigmatiser le racisme qui sévissait aux temps des colonies et mettre en avant les paradoxes d’une société française qui rit au cirque de Chocolat et s’émeut de ses pochades avec paternalisme et condescendance est une ambition louable. Mais déformer la vraie histoire de Chocolat, introduire une violence physique pour atteindre ce but c’est comme fabriquer des preuves à charge pour mieux s’assurer que le coupable sera condamné et provoquer finalement un vice de forme qui prive la société française d’un vrai procès, juste et valide.

La violence à l’égard de Chocolat dans le film, qui est celle des voyous qui viennent l’intimider et lui casser les doigts de la main pour récupérer leur argent se confond avec la violence raciste qui aurait pu être celle des Amériques de la ségrégation et des lendemains de la guerre de Sécession. Or la France n’est pas justement l’Amérique en 1910. C’est pourquoi d’ailleurs nombreux sont les Noirs à quitter l’Amérique pour la France construisant le mythe d’une terre de liberté, où tout est possible pour les Noirs. Dieu sait que la France coloniale était loin d’être dénuée de racisme. Mais rien dans le film ne fait jamais allusion aux Noirs venus des États-Unis, aux Antillais et aux Africains qui fréquentaient la Capitale, encanaillaient les soirées parisiennes et participaient même à la vie politique.

Tant qu’on n’abordera pas l’histoire coloniale française dans toute sa complexité avec ses paradoxes et ses contradictions on ne pourra pas dépasser le traumatisme qu’elle représente. Il ne faut pas se mentir, mais regarder la réalité en face.

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