Société

Suzanne Dracius : Marronnons, cohérents, hors des incohérences et des aberrations !

Suzanne Dracius est une écrivaine bien connue, professeure de Lettres classiques. Elle nous livre un témoignage au coeur du confinement qui appelle à la réflexion : Marronons !

Comment imaginer qu’un jour je serais chassée de la mer manu militari ?

À cause de ce satané coronavirus, tout étant annulé, le Salon Livre Paris et mes conférences en Europe, je me suis consolée en rentrant dans ma chère Martinique natale. Lors du confinement, cela ne changeait pas grand-chose pour moi : une heure de nage dans la mer, c’est quotidiennement ma récréation au mitan de la création ; mais c’est à l’eau : voilà qu’au 4e jour, les gendarmes envahirent les rochers et m’enjoignirent de sortir de l’eau.

Nous avions pourtant réussi à nous réconcilier avec cette « mer à goût d’ancêtres » qu’évoque Césaire. Au lendemain de l’anniversaire du décret d’Abolition de l’esclavage du 27 avril 1848, le discours centralisateur du Premier ministre prit de sinistres résonances, impérieuses, oublieuses des différences des Outre-mer. À 7000 km de l’hexagone, plus que jamais j’exècre ce mot « métropole » dégoulinant d’outrecuidance, dégouttant – et, partant, dégoûtant – de condescendance, où il y a polis, cité, et mêtêr, mère (bien mignon, ce côté maternel, mais ça infantilise les non-métropolitains, ex-colonisés ou décolonisés) ou l’autre étymologie, métron, la mesure, avec l’idée de mètre étalon, modèle, qui est à imiter, cité de référence devant laquelle il n’y aurait qu’à s’incliner.

« Nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves », dixit le Gouvernement provisoire de la 2e République qui comptait en ses rangs Lamartine.

La tentation est grande de parodier l’auteur du « Lac » avec cet alexandrin : Un seul virus vous hante et tout est dépeuplé, y compris les plages que nous avions réussi à reconquérir dans nos corps, dans nos mémoires et dans nos cœurs, à ne plus voir seulement comme lieux de débarquement de nos ancêtres esclavés déportés d’Afrique mais comme lieux de divertissement au sens pascalien, pour nous détourner de l’horreur du gigantesque traumatisme, lieux de bains « démarrés », lieux ouverts à l’air libre permettant d’échapper à la privation de liberté.

J’ai signé moult pétitions pour libérer nos plages, symboles de libération à l’instar des plages du débarquement qui marqua la fin de la 2e guerre mondiale. Si c’est une guerre, la libération des plages signifiera délivrance d’une oppression, fin de la dictature sanitaire.

Fière de mes ancêtres esclavés dont on célébrait hier, 10 mai, la mémoire, aujourd’hui 11 mai je brûle d’envie de marronner hors de ces injonctions paradoxales : déconfinement, mais, pour l’accès aux plages en Martinique, suspense. Dans l’hexagone, des vagues d’autorisations ont déjà déferlé pour les côtes bretonnes et le littoral méditerranéen, mais, ici, toujours rien.
Priver la population d’activités nautiques saines sous prétexte de préserver sa santé ? Interdire des activités physiques salutaires sous couvert de prudence sanitaire ? Quand on sait que le surpoids est facteur de risque d’infection sévère… Face à ce faisceau de contradictions, marronnons, cohérents, hors des incohérences et des aberrations !

J’y vais de ce pas. Les gendarmes vont peut-être me mettre à la geôle : de récidive en récidive, on risque la prison. La prochaine fois que j’écrirai, ce sera peut-être du fond d’une cellule, mais j’ai d’illustres prédécesseurs écrivains emprisonnés pour des motifs encore plus vains !

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