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Si j’avais été blanc, il n’y aurait jamais eu Elvis Presley

Un voyage dans le temps grâce à cette interview accordée en 1999 à Michael Shelden pour The Daily Telegraph par l’autoproclamé King & Queen du Rock’n’Roll décédé le 9 mai dernier. Le petit nègre du sud, défiant les codes raciaux et moraux en vigueur sera exubérant. Place à Tutti Fruti à l’origine une ode au sexe anal ! A-wop-bop-a-loo-bop-a-wop-bam-boom ! 

À l’hôtel Hollywood où il réside toute l’année, Little Richard se trémousse sur sa chaise, esquisse quelques pas de danse, implore le ciel : « O Dieu d’amour, dis à ces Angliches de voir Little Richard montrer son talent sur scène. Je vais les atomiser. Ils verront l’histoire revivre.  »

Apprenti, à Macon, en Géorgie, vendeur d’huile de serpent dans l’officine du Dr Hudson, Richard Penniman a monté un argumentaire très convaincant. Il vous dira que Dieu Tout-Puissant a béni ce pauvre garçon, fils d’un trafiquant d’alcool, sorti du néant pour devenir le Père du Rock, le Master Blaster, l’Innovateur, l’Emancipateur, l’Ange Noir. Et, ajoutera, en vous fixant des yeux, ces mots venus des tréfonds de son cœur : « Si seulement j’étais né blanc, il n’y aurait jamais eu Elvis Presley ».

Little Richard vous chantera un peu de Tutti Frutti par ci, un peu de Long Tall Sally par là. D’une voix toujours incroyablement douce et parfaitement placée, il se lance dans Slippin ‘& Slidin’, puis s’arrête brusquement pour tendre les bras et annoncer triomphalement : « Le monde n’a jamais rien entendu de tel jusqu’à ce que je vienne. Ils chantaient tous des mélodies lentes comme « Pennies from Heaven ». Moi je n’ai jamais vu de pièces de monnaie tombant du ciel dans mon quartier. Alors je chantais des airs différents, mon cher.  »

Oui, à 66 ans, Little Richard est toujours aussi loufoque après toutes ces années, se vantant de laisser le public époustouflé quand il fera son entrée en Grande-Bretagne, selon lui, la suite de la tournée de 1962, lorsque le Révérend Little Richard provoquait des émeutes à Londres et à Bristol et pouvait mettre en lumière des jeunes de Liverpool aux dents longues prénommés John, Paul, George et Ringo.

– La seule erreur que j’ai commise a été lorsque Brian Epstein m’a proposé un intéressement pour la commercialisation des disques des Beatles aux USA si je leur obtenais un contrat d’enregistrement. J’ai refusé.

– Comment est-ce possible, Richard ?

– Eh bien, avec leurs harmonies, je me disais qu’ils ressemblaient aux Everly Brothers. Et selon moi la dernière chose dont le monde avait besoin était de quatre Everly Brothers de plus.

Amoureux de sa propre magnificence, Richard a souvent été déçu par les talents prometteurs qui furent à ses pieds pendant ses années de gloire. Il se remémore d’un gars maigre avec un tambourin qui le suivait dans les soirées à Londres.

« Un jour, j’ai dit à ce gamin qu’il pouvait se tenir sur le côté de la scène et jouer avec nous sur son petit tambourin. Et maintenant, regardez-le, mon vieil ami Mick Jagger, et vous le voyez se pavaner comme je le faisais. N’est-ce pas évident qu’il imite mon ancien numéro ?

Il y a ensuite ce jeune chanteur de soul rencontré par hasard dans une prison de Georgie. « C’est vrai, j’ai découvert James Brown quand personne ne le connaissait à part son surveillant pénitentiaire. » Et que dire sur ce chauffeur de limousine dont les regards le laissaient indifférent ? « Je pensais que Sonny Bono avait un visage que seule sa mère pouvait aimer, ce dont je n’étais même pas sûr. »

Puis ce jeune guitariste noir qui ne cessait de le harceler pour obtenir des conseils. « Comment s’appelait Jimi Hendrix à cette époque ? Ah oui, Maurice James. Je n’ai jamais pensé qu’il deviendrait quelqu’un. Il marmonnait sans cesse d’essayer de faire sonner sa guitare comme ma voix, et puis je l’ai vu jouant de la guitare avec sa bouche. Ce garçon était un sauvage.  »

Quand Hendrix a confié plus tard à son héros qu’il espérait réaliser un hit avec une chanson Purple Haze, un Richard perplexe lui a demandé « Et quelle teinte de violet ? »

Des quatre Beatles, sa préférence va vers Paul, se souvenant avec émotion de l’ambition du jeune homme pour devenir une star en Amérique. « Paul a toujours été le plus gentil, et quand nous jouions au Star Club à Hambourg, il traînait avec moi et posait des questions sur l’Amérique. Il disait « Richard, est-ce un très grand pays ? » et « Comment sont les américaines ? ».

Mais John Lennon lui a été une épine dans son pied.

– Purée, avec John c’était la misère. Si j’avais eu un bâton, je pense que je l’aurais frappé avec. Il faisait des choses horribles, comme être dans une pièce, lâcher une caisse, courrir et vous enfermer. Oh mon Dieu, je peux encore sentir l’odeur.

– Tu veux dire qu’il aimait faire des farces ?

– Farces ? Des flatulences ? Ca n’avait rien de drôle. Des gamineries de mauvais goût oui.

Un noir parti de rien devenir riche et célèbre, ça ne plaît pas

Alors, comment la star, le grand et glorieux Richard s’est-elle fait éclipser par tous ces jeunes rivaux ? Pourquoi tout le monde ne s’accorde-t-il pas à dire qu’il est le grand Architecte du rock ?

– La réponse est simple. Beaucoup de gens ne veulent pas rendre à Little Richard les honneurs qui lui sont dus. C’est une question de racisme. Un noir parti de rien devenir riche et célèbre, ça ne plaît pas. J’étais pauvre comme Job. Je n’aurais pu m’offrir un sandwich à la dinde. Et puis, parce que j’avais un style flamboyant, certaines personnes pensaient que j’étais Alice au lieu de Richard.

– Alice ? Tu dis cela parce que tu es gay ?

– Eh bien, j’ai peut-être agi comme Alice, mais j’ai toujours été Richard. Je devais être Alice sinon les Blancs ne m’auraient pas laissé jouer dans leurs clubs dans les années 50. Ils avaient peur que toutes les jeunes filles blanches ne s’amourachent de ce beau bronzage. Si les réactionnaires pensaient que j’étais Alice, cela voulait dire que les filles pouvaient m’approcher sans problème. Mais elles sont quand même tombées amoureuses de moi à la vue de cette beauté bronzée et ont perdu le contrôle de leurs sous-vêtements. Elles étaient prêtes à arracher jusqu’à mes chaussettes.

Au cours de ces années dorées, Richard s’était défini comme omnisexuel mais ni le sexe ni la drogue ne l’intéressent aujourd’hui. « Je suis clean maintenant, totalement. Bien sûr, je n’ai jamais été vraiment impur. Maintenant, je ne bois même pas de vin. Vous imaginez que certains en boivent pour la communion ? »

Richard semble choqué par ce fait, mais au sommet de sa popularité, une gorgée de vin aurait été le moindre de ses vices. A Los Angeles dans sa Cadillac faite sur mesure en or et ivoire, avec son intérieur en peau de léopard et ses bottes pleines d’argent liquide, il a souffert de problèmes de cocaïne et d’alcool, ne semblant jamais manquer de compagnons des deux sexes. Marié pendant une courte période à une femme nommée Ernestine, la plus intéressante de ses copines était une strip-teaseuse qui se faisait appeler Angel.
« Oh, je suis sorti avec elle, mais je ne dirais pas qu’elle a été ma compagne. Elle était la fille de beaucoup de gens. Elle sortait avec tout le monde. Elle aimait se mettre nue… « 
Le chanteur fait encore plutôt jeune, maigre, son visage presque sans rides. Son teint brun et ses longs cheveux noirs, qu’il garde maintenant à hauteur des épaules, le font ressembler un peu à un guerrier Apache. Surexcité, il accélère le débit de ses paroles, ses yeux deviennent énormes, il agite ses bras et donne des coups de pied. Il aime citer Prince et Michael Jackson comme exemples d’artistes noirs populaires qui ont suivi son exemple, mais ne pense pas avoir grand chose à offrir sur la scène musicale actuelle.
« Avec le public noir, vous n’êtes populaire que le temps de votre dernier album à succès. Donc si vous n’êtes pas dans le coup, on vous oublie. Et, de toute façon, je ne me soucie guère de cette musique qui n’en est plus vraiment. Tous les rappeurs copient juste d’anciens rythmes et font semblant de faire quelque chose de nouveau. Je suis comme un vieux cuisinier qui pourrait dire qu’il a tout fait à partir de rien. Maintenant, personne ne part de zéro. « 
Il est clair que son ego est de taille Jupiterienne, mais c’est l’une des voix vraiment originales de la musique rock. Avant 1956, lorsque Tutti Frutti et Long Tall Sally sont devenus des hits, le seul compositeur qui faisait un travail similaire était Chuck Berry.

On ne peut donner tort à Richard quand il dénonce le fait que sa musique était plus jouée sur les ondes lorsque des blancs en faisaient des reprises. Elvis a en partie lancé sa carrière par une reprise de Tutti Frutti et la version de Pat Boone a connu un succès planétaire. De nombreux artistes blancs, y compris les Beatles, ont fait de même avec Long Tall Sally et d’autres succès. Quarante ans plus tard, il n’est pas facile de regarder en arrière et de voir à quel point cette musique était radicalement nouvelle.

« J’avais peur de jouer mes morceaux quand je suis entré pour la première fois dans un studio d’enregistrement. Je voulais juste leur donner des rythmes et des blues à l’ancienne car je pensais que la maison de disques me rirait au nez si je leur proposais des morceaux comme Tutti Frutti. Je me suis assis dans un coin du studio et j’ai joué cette musique pour moi. Le producteur l’a entendue et a dit : » Qu’est-ce que c’est ?  » Cela ne ressemblait à rien de ce qu’il avait entendu auparavant. Nous l’avons enregistrée et, bien sûr, les jeunes ont adoré.  »

Lorsque ses premiers enregistrements ont commencé à être diffusés à la radio, beaucoup de ses amis et sa famille ne savaient pas que leur Richard Penniman était la nouvelle sensation Little Richard.

J’ai toujours su que j’étais le pilier de la maison rock

« Je suis rentré un jour et j’ai dit à ma mère : » Maman, c’est moi à la radio.  » Elle ne m’a pas cru et m’a dit de ne pas lui mentir à ce sujet. Elle a continué à ne pas croire que c’était moi jusqu’à ce que je vienne en Cadillac.

Aujourd’hui, dans son hôtel d’Hollywood surplombant Sunset Boulevard, ni riche ni pauvre, son objectif désormais est assurer la place légitime qui lui revient dans l’histoire du rock.
« Lors des récentes intronisations au Rock Hall of Fame, Billy Joel a dit que j’étais l’un des vrais pionniers. C’est agréable à entendre, mais même lorsque les gens m’ignoraient, j’ai toujours su que j’étais le pilier de la maison rock. Personne ne peut changer ce que j’ai créé il y a toutes ces années. « 
Sa carrière a connu des hauts et des bas. Contraint de vendre ses voitures et maisons de luxe, au creux de la vague, il a dû se battre pour récupérer les droits d’auteur pour ses enregistrements passés. Son ego surdimensionné et son style de vie erratique ont aussi désorienté ses admirateurs. Mais comme il aime à le dire, « life with all its ups and downs, is a blessin’ and a lesson », la vie, avec tous ses hauts et ses bas, est une bénédiction et une leçon.
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