Société

Qualifier les propos de Zemmour, répondre à Zemmour, penser Zemmour…

Le décryptage de l’interview de Danièle Obono sur BFMTV par Jean Jacques Bourdin. Extraits de l’article de Pauline Perrenot pour l’observatoire des médias ACRIMED à lire dans son intégralité et à soutenir.

Quelques jours après la publication par Valeurs actuelles d’un article raciste…, Jean-Jacques Bourdin reçoit la députée sur RMC/BFM. Mais alors que s’ouvre le matin même le procès des attentats de janvier 2015, Danièle Obono se retrouve soumise à un interrogatoire en règle.

« Inviter Danièle Obono le jour de l’ouverture du procès des complices présumés des assassins de Charlie Hebdo…, quelle indignité ! » ai-je lu ce matin sur les réseaux sociaux… « Parce que Danièle Obono a écrit qu’elle n’a pas pleuré Charlie. »

C’est une délicatesse journalistique promise à un grand avenir : citer un commentaire outrancier, anonyme, posté sur les réseaux sociaux, afin de débuter l’interview d’une matinale rassemblant des millions d’auditeurs.

En quelques mots d’introduction, et avec l’air de ne pas y toucher, Jean-Jacques Bourdin jette d’emblée la suspicion sur son invitée… L’attaque, formulée au même moment sur France Inter, et nuancée quelques heures plus tard par sa rédaction numérique, fait référence à une note de blog rédigée par Danièle Obono, en janvier 2015, quatre jours après les attentats. Un texte qui peut être évidemment soumis à la critique, dont il est possible de discuter, mais ici raccourci pour les besoins du tohu bohu médiatique…

Le sensationnel l’emportant sur la nuance, Bourdin préfère laisser courir l’opprobre en direct. En lui donnant même de l’élan, puisqu’il s’acharne contre la députée dès le début de l’interview, et ce à trois reprises :

– Danièle Obono, vous n’avez pas pleuré Charlie. Pourquoi ? … Qu’est-ce qui vous a empêchée de pleurer Charlie ?

… Autant d’interruptions qui ne laissent guère de place à Danièle Obono pour tenter de développer un propos dans le calme. Car la messe est en réalité déjà dite : le ton est à l’invective et les sommations domineront l’interview, bien que l’animateur s’en défende : « Il ne s’agit pas de [vous] justifier, il s’agit d’expliquer, Danièle Obono. » Encore faudrait-il lui en laisser la possibilité…

Des injonctions donc, Danièle Obono en subit tout au long de l’interview. Sautant du coq à l’âne, Jean-Jacques Bourdin n’hésite d’ailleurs pas à s’appuyer sur des attaques émises à l’encontre de la députée… par… Éric Zemmour… Attaques dont le contenu fut démenti le lendemain par Libération, mais tout de même reprises par l’animateur de RMC… le surlendemain.

Un classique : même absent, Zemmour est un « débatteur » omniprésent sur les plateaux. C’est là le tour de force de journalistes qui se plaisent à cadrer les débats en fonction de son dernier crachat.

Illustration :

JJ Bourdin : Lorsqu’Éric Zemmour dit : « Elle est incapable, Danièle Obono, de dire : « Vive la France ! » »… ?

Danièle Obono : Ne participez pas à ça. [Je ne participe pas.] Si. [Pourquoi ?] Parce que vous relayez ce personnage. […]

JJ Bourdin : Bah vous aussi vous les relayez  en les contestant, en les critiquant. […] Mais il dit : « J’ai vu madame Obono qui refusait de dire « Vive la France ! » ». C’est vrai ou faux ? Vous êtes capable de dire « Vive la France ! » ?

D. O. : Comment osez-vous aujourd’hui, au bout de trois ans, reprendre cette attaque ?

… On se contentera de relever combien Jean-Jacques Bourdin perpétue des insinuations racistes, dans un débat pour le moins médiocre, le bras confortablement appuyé sur l’ « accoudoir Zemmour ». Qu’il a décidément bien écouté la veille sur CNews, puisqu’il « n’en a pas terminé » :

J’en terminerai avec Zemmour. Lorsqu’Éric Zemmour dit, je cite : « Pourquoi tant de délinquance cet été ? Parce qu’à cause de l’épidémie, la plupart des jeunes n’ont pas pu aller au bled pour les vacances. » Est-ce un propos raciste ?

Qualifier les propos de Zemmour, répondre à Zemmour, penser Zemmour.

Voilà comment l’animateur de RMC occupe près d’un quart de son interview matinale, symptomatique du climat médiatique ambiant. Et dire que quelques minutes plus tôt, la députée dénonçait justement la « zemmourisation de la vie politique et médiatique »…

À son insu sans doute, Jean-Jacques Bourdin en fournit le mode d’emploi. La critique n’a d’ailleurs pas semblé intéresser l’animateur, qui coupe la députée pour embrayer sur un thème plus à son goût : celui de la « défense de la laïcité » et de « la République », autre patte blanche que doit alors montrer la députée Obono. Sourd à toute réponse, Jean-Jacques Bourdin se contente de brandir à tour de bras des concepts chers aux journalistes – mais qu’ils sont toujours incapables de définir : « l’islamisation » et le fameux « communautarisme »….

D. Obono. : Mais c’est quoi le communautarisme ? De quoi vous parlez ? Est-ce qu’on pourrait pour une fois avoir un débat public, politique et médiatique où on explique de quoi on parle ? […] Moi je défends le programme de la France insoumise où nous disons qu’il faut faire France de tout bois. Oui, il faut défendre les services publics. Pour moi, [Coupée].

JJ Bourdin : Défendre la laïcité ? Défendre la laïcité ? Ardemment ?

D. O. : Je n’ai pas à devoir justifier mon attachement à la laïcité et à la République.

C’est pourtant la démarche à laquelle est contrainte la députée durant la quasi-totalité de l’interview : se justifier. D’autres choses encore ? Oui : l’animateur lira également un tweet et une petite phrase, dont devra répondre instamment Danièle Obono. Un propos sur Jean Castex, tenu quelques mois plus tôt, et un second, cité hors de tout contexte…

Quelque part dans ce marasme, seulement trois questions porteront sur la publication de Valeurs actuelles… Le sujet n’arrivera qu’au bout de 12 minutes, et durera, en tout et pour tout, 2 minutes et 25 secondes, soit un dixième de l’interview.

Un « timing » révélateur de « l’inversion de la culpabilité », véritable fil rouge de cette interview à charge… voire règlement de compte, tant elle semble en partie inintelligible pour toute personne qui ne serait pas familière des bisbilles du bocal journalistique.

Sale temps pour l’information donc, noyée dans l’invective, les interruptions à la chaîne, les petites phrases, les imprécisions et les obsessions identitaires d’un Bourdin en roue libre, invitant une victime de racisme pour instruire son procès en reprenant les arguments habituels de… ses agresseurs ! Le tout supervisé par Zemmour, dont les propos fallacieux, reconnus comme tels, donnent malgré tout le tempo. Si cet entretien est à ranger parmi les fiascos que Bourdin sait réserver aux personnalités de gauche, il n’en reste pas moins représentatif de la violence qu’un pan de l’espace médiatique inflige à une députée noire, souillée quatre jours plus tôt par une publication d’extrême droite…

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