Presque majoritaires à La Réunion, les pauvres sont ignorés
Près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté à La Réunion. Elle reste pourtant méprisée comme l’ont rappelé les manifestations provoquées par le changement sans concertation des horaires des bus de la CINOR. Pourquoi les pauvres sont-ils obligés de dresser des barrages sur les routes pour se faire entendre ?
Un Réunionnais sur deux vit sous le seuil de pauvreté.
La Réunion est des pays les plus urbanisés du monde. Selon les critères de l’ONU, 95 % des Réunionnais sont des citadins contre 79 % en France, alors que la moyenne dans les pays riches se situe à 78 %. En 1955, le taux d’urbanisation n’était que de 23 %, et de 44 % en 1975. Ces chiffres montrent un exode rural. Traditionnellement, ce type de migration est favorisé par l’implantation de l’industrie dans les villes, qui amène les paysans à y chercher une vie meilleure. Mais à La Réunion, l’industrialisation ne s’est pas produite alors que les productions agricoles ont été touchées par des crises successives, notamment la vanille, le géranium et la canne à sucre.
La montée de l’urbanisation a donc augmenté le nombre de pauvres dans les villes. Les grandes cités réunionnaises font donc partie des plus pauvres de la République. Mais à l’exclusion sociale s’ajoute une autre : les pauvres sont considérés comme des invisibles. Ils constituent la moitié de la population, mais rares sont les sujets qui leur sont consacrés dans les médias ne parle d’eux, à l’exception de la rubrique des faits divers.
Pas le droit de s’exprimer
Selon un article paru dans le Quotidien, 92 % des déplacements se font en automobile individuelle. Ce taux est beaucoup plus important qu’en France. Or, 30 % des familles n’ont pas de voiture à La Réunion, là aussi une proportion plus grande qu’en France. La plupart sont des personnes qui utilisent le bus pour se déplacer, car elles n’ont pas les moyens de se payer une automobile.
Le 1er avril, les horaires et les lignes des cars circulant dans la CINOR ont été modifiés. Les usagers ont été nombreux à protester, car ils n’ont pas été consultés. C’est un fait révélateur de la manière dont les plus modestes sont traités dans ce pays. Des détenteurs d’un pouvoir ont voulu imposer leur point de vue, en pensant que les pauvres allaient s’y plier sans rien dire. Comment alors s’étonner que face à ce coup de force, les protestations ont été des barrages ? En effet, il était refusé aux pauvres le droit de s’exprimer, puisqu’ils n’étaient pas consultés sur les changements apportés à leur seul moyen de transport. Ils ont alors choisi un mode d’action radical pour prendre la parole. Cela a obligé la CINOR à reculer en partie.
Plus de 2 milliards pour NRL et NEO, combien pour les bus ?
Cet épisode montre qu’une des priorités est le développement des transports collectifs à La Réunion. Leur amélioration permettra aux pauvres d’être moins limités dans leurs déplacements, et incitera également ceux qui ont les moyens d’acheter une voiture d’envisager un autre mode de transport, plus écologique, moins cher et qui réduira les heures perdues dans les embouteillages.
Ce n’est malheureusement pas la voie empruntée à La Réunion. L’investissement le plus important, et de loin, est en effet consacré au développement de la voiture individuelle. La Région a en effet choisi de dépenser une part considérable de ses crédits dans le lancement du chantier d’une route en mer, au détriment de la construction d’un train. La mairie de Saint-Denis veut l’imiter, en appelant de ses vœux la réalisation d’un morceau de route évalué à 600 millions d’euros pour raccorder la NRL de la Région au réseau routier, c’est la nouvelle entrée Ouest, ou NEO.
Le problème de la mobilité des pauvres va donc continuer à s’aggraver. Or, ce n’est pas en réduisant les moyens alloués aux services destinés aux plus modestes que ces derniers vont disparaître.
Manuel Marchal dans Témoignages du 19/04/2016
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