Société

Préparez-vous l’opinion publique à quelque chose de décidé en haut lieu par l’administration américaine ?

Extraits de la lettre de la COPAH, conférence des Pasteurs Haïtiens, à Mme Michelle Sison, Ambassadrice des États-Unis en Haïti

Nous prenons acte de l’intérêt que vous manifestez en faveur d’une solution négociée à la grave crise haïtienne qui dure depuis plusieurs mois. Reprenant, hors contexte, des déclarations d’un de vos prédécesseurs, Frédérick Douglass, vous avez encouragé le dialogue et l’unité entre les Haïtiens pour sortir de la crise. En réalité, le dialogue est bon et nécessaire pour résoudre les conflits. Cependant, encourager les Haïtiens à dialoguer avec n’importe qui nous paraît peu rationnel. Il est difficile d’envisager un dialogue sérieux avec quelqu’un qui serait de mauvaise foi…

Nous déplorons amèrement que vos déclarations tenues le 3 juillet dernier en votre résidence, à l’occasion de la célébration de la fête de l’indépendance nationale des États-Unis, aient chaudement été applaudies par quelques représentants de la classe politique, du secteur privé et de la société civile haïtienne, présents à cette cérémonie. En plus d’insulter l’intelligence du vaillant peuple haïtien, vous croyant dans un pays conquis, vous vous êtes permis de vous exprimer comme si vous intimiez l’ordre à des soumis.

Aussi, notons-nous, le caractère raciste et discriminatoire de vos déclarations faisant référence « à l’esprit de turbulence qui prévaut dans le pays et qui menace son indépendance.» Vos propos constituent un acte d’intimidation inadmissible et une atteinte à notre souveraineté et à notre dignité de peuple libre. Êtes-vous en train de préparer l’opinion publique à quelque chose qui serait déjà décidé en haut lieu de l’administration américaine contre Haïti ? Seriez-vous prêt à nous occuper une nouvelle fois si le dialogue que vous voulez nous imposer n’aurait pas lieu comme vous le souhaitez en fonction de vos intérêts propres? Définitivement, cela va au-delà des limites de l’inacceptable.

À ce niveau, madame l’ambassadrice, il n’est pas inutile de vous rappeler que nos ancêtres ont combattu pour votre pays à Savannah. Vous l’aviez rappelé et c’est bien. Nous vous le concédons. Cependant, vous aviez omis de souligner que les États-Unis pays ont boycotté notre indépendance gagnée au prix du sang et de gros sacrifices pendant soixante ans parce qu’il était encore un État esclavagiste. Aussi, aviez-vous oublié de mentionner l’occupation de notre pays par le vôtre en 1915, sans compter les débarquements de 1994 et de 2004. Ces actes ont non seulement retardé notre progrès social et économique, ils nous ont humiliés aussi. Et nous continuons d’en payer le prix fort. C’en est, d’ailleurs, une des causes fondamentales du sous-développement de pays.

Aussi, déplorons-nous madame l’ambassadrice, votre attitude qui consiste à forcer les Haïtiens à accepter un prétendu dialogue avec un président rejeté par la majorité de ses concitoyens pour avoir été éclaboussé par plusieurs scandales de corruption…

Dans tous les pays du monde, lorsque quelqu’un est indexé pour corruption dans un rapport rendu public par une institution d’État, comme la Cour des Comptes, il n’est autorisé à occuper aucune une fonction jusqu’à ce que la justice l’innocente… Aux États-Unis, au nom de la morale publique et de l’éthique, on ne plaisante pas avec les corrompus. Pourquoi croyez-vous que cela devrait se faire autrement en Haïti ?

Votre rôle en tant que diplomate, madame l’ambassadrice, n’est pas de chercher à imposer le dialogue entre un président accusé de corruption par une institution publique de son pays et ses concitoyens qui réclament sa démission. Tout ce que celui-ci doit faire, et il le sait, c’est de se libérer de sa fonction présidentielle et de se mettre à la disposition de la justice. Autrement dit, vous n’avez absolument aucun rôle à jouer dans une affaire mettant en cause la moralité du président…

En plus des crimes financiers qui sont reprochés au régime en place que vous supportez au nom d’une pseudo démocratie, taillée sur mesure pour Haïti et vide de contenu, il est également accusé d’implication dans des massacres d’État à l’instar du massacre de la Saline, de Tokyo, de Cité Soleil et de Carrefour-Feuilles. Pas une fois vous n’en avez fait mention dans vos prises de position qui vont toujours dans le sens du maintien au pouvoir de ce régime qui viole les droits humains, les lois de la République et la Constitution du pays… Nous refusons de croire que vous cautionnez tous ces crimes et violations des droits d’un peuple dont vous prétendez être l’ami. On ne traite pas un ami de cette manière…

Enfin, madame l’ambassadrice, nous notons aussi chez vous comme tous vos prédécesseurs, une fâcheuse tendance à vous immiscer de plus en plus dans les affaires intérieures du pays. Alors que la majorité des Haïtiens exigent la démission de monsieur Jovenel Moïse pour son implication dans la dilapidation des fonds du Petrocaribe, vous exercez des pressions pour obtenir la ratification d’un Premier ministre et le lancement d’un hypothétique processus électoral avec un CEP qui n’inspire pas confiance. Ce comportement est une violation flagrante de l’article 41-1 de la Convention de Vienne qui interdit aux diplomates de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un pays accréditaire…

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