Pierre Saintons : quand depuis l’enfance on est bercé par la rhétorique France pays des droits de l’homme, on a tendance à se laisser anesthésier
En 1974, Pierre Saintons, campant Hippolyte un collabo noir dans le film Lacombe Lucien surprend le monde du cinéma. 40 ans plus tard, il revient sur ses débuts prometteurs et ses espoirs brisés dans un billet d’humeur publié sur son blog
1973 fut pour moi, une année très spéciale… spéciale en ce sens que : pour la première fois, j’étais distribué dans un film… Et quel film ! Lacombe Lucien !
Agé de 23 ans, je vous laisse imaginer, pour le jeune comédien que j’étais, la joie d’être de la distribution d’un film de Louis MALLE …
Inutile de vous frotter les yeux… Vous avez bien lu. Pour mes premiers pas au cinéma, un des cinéastes les plus emblématiques, des plus talentueux de cette époque… Le réalisateur de : Ascenseur pour l’échafaud, de Le souffle au cœur, de Zazie dans le métro, de Les amants, de Viva Maria… Louis MALLE ! …
Autant vous l’avouer tout de suite … le roi n’était plus mon cousin ! Et accrochez-vous … le directeur de la photo était : Monsieur Tonino DELLI COLLI !
Qu’est-ce qui vous chiffonne ? Monsieur ? Tonino DELLI COLLI ? Non, ça, je ne puis le croire !
Dissipons immédiatement ce malaise… Je vous explique !
Au cinéma, Monsieur est un titre, un titre réservé, au directeur de la photo et ce titre est énoncé avec d’autant plus de déférence quand ce Monsieur est… Tonino DELLI COLI !
Hé oui… toute une culture !
Ah non. Ne me dites pas, que vous séchez sur Tonino DELLI COLLI ! Je vous donne un indice : Le bon, la brute et le truand !
Haaaa ! Vos yeux s’illuminent et c’est la gigue dans votre cerveau. Normal ! Il était impossible que vous ne vous souveniez pas de l’éblouissante lumière du fabuleux western qu’est « Le bon, la brute et le truand » ! Eh bien, le maître d’œuvre en était Monsieur Tonino DELLI COLLI !
Tout était réuni, pour que ce tournage soit, pour le jeune comédien que j’étais, un véritable arbre de noël, dont boules et guirlandes n’étaient rien moins que, ceux qui sous la houlette de Louis Malle, faisaient techniquement ce film… Lacombe Lucien !
La conjonction d’autant de talents, ne pouvant être fortuite ! J’en conclus que c’était un signe de l’Eternel… Pas de doute, j’appartenais désormais, à la « race » des élus !
Oui, je sais … mais, à Chacun son Sinaï ! Il ne me restait plus qu’à fendre les eaux !
… C’est cette année-là… que la fièvre du cinéma s’est emparée de moi et m’a littéralement dévoré !
Entendons-nous bien. Je ne fus pas subitement habité du désir, d’assister à la projection de nombreux films … Non, mon ambition fut comme Oscar MICHEAUX d’en réaliser …
Mais, alors que depuis ma préadolescence, j’avais toujours rêvé de faire comme Roscoe Lee BROWNE qui pour moi est plus qu’un modèle, un maître ! Eh bien cette année-là a germé dans ma tête, l’idée de colorier la pellicule de plein d’histoires… tout comme Tante Suzanne !
Ah non… Ne me dites pas que vous ne connaissez pas Tante Suzanne ! La tante de Langston HUGHES ! Et par voie de conséquence, la grand-tante de tous les issus de la traite transatlantique !
Pardonnez-moi … Mais si vous n’en avez jamais entendu parler, c’est une lacune qu’il convient de combler…
Figurez-vous que Tante Susanne avait la tête pleine d’histoires … Tante Suzanne avait le cœur tout plein d’histoires … et dans le flot continu des paroles de la vieille Tante Suzanne se mêlaient sans bruit, des esclaves qui travaillaient à la chaleur du soleil, des esclaves qui marchaient dans la rosée des nuits …
Des esclaves noirs chantant des chansons douloureuses sur le bord d’un immense fleuve !
Et les soirs d’été, sur la véranda de la façade, Tante Suzanne racontait ces histoires à un petit garçon brun qu’elle serrait tendrement sur son sein et il se tenait tranquille … ce petit garçon, parce qu’il savait que les histoires de la Tante Suzanne n’avaient pas surgi de son imagination … mais que c’étaient de vraies histoires ou si vous préférez des histoires vraies !
… J’ambitionnais, de mettre en lumière, pour vous, ces valeureux héros français, issus de la traite transatlantique … qu’ils s’ingénient à cantonner à l’ombre de la lumière !
Vous savez… ces héros du quotidien qui, comme le nez au milieu de la figure, sont : trop visibles pour que nos cinéastes leucodermes s’en soucient …
Au pays des aveugles les borgnes sont rois ! Alors, probablement une question d’acuité … A moins qu’il ne s’agisse d’odeur … Ah l’odeur ! Désastreux pour la vue l’odeur … surtout quand on a le nez trop près de la bouche … cette bouche qui fait du bruit … et ce bruit-là « ça rend sourd » … surtout que c’est le poignet qui stimule le cervelet. Comment, s’étonner qu’à la surdité s’adjoigne la cécité !
Alors le pauvre réalisateur leucoderme il faut l’comprendre. Il ne joue pas forcément au c.. s’il joue les trois singes … enfin … vous déciderez !
Il n’y a rien là de foncièrement méchant juste un peu de candeu ou de sottises comme ces enfants qui chapardant la confiture, regagnent leur chambre à reculons cachant derrière leur dos, leurs doigts dégoulinants de leurs fautes ! Et fatalement, un jour elles jalonnent la moquette et ils sont débusqués
… Pourquoi y-a-t-il des trous dans l’pain ?… c’est que ça dégouline !
Comment dit-on déjà ? Ha oui ! Cent ans pour le voleur… un jour pour le maître ! Drôle non !
Pourquoi dans l’pain du cinéma français, y-a-t-il autant de trous ? Pourquoi tous les films français sont-ils monocolores … Pourquoi si peu de réalisateurs français issus de la traite négrière ? Apartheid ? …
Eh bien c’est cette incongruité que je me propose d’éclairer pour vous.
Longtemps, pour une raison que j’ignore mais que certainement vous subodorez je me suis imaginé qu’il y avait… une sorte de corrélation, entre : densité de mélanine dans la pigmentation et ne pouvoir réaliser un film dans l’Hexagone. Sait-on jamais chemin faisant, l’eau salée … les chaines … le fouet … haro ! Selon que vous serez etc. …
M’étant plongé dans l’histoire de notre cinéma, et ayant scruté tous les films réalisés par des français issus de la traite négrière… Ce ne fût pas très difficile, ils se comptaient sur les doigts d’une main … quelle ne fût ma constatation !
Sans exception aucune, les histoires avaient toutes pour cadre les bantoustans de notre République une et indivisible comme, pour faire savoir que la seule géographie dévolue aux français issus de la traite négrière pour rêver, se divertir, s’instruire, vivre, être que, celle tropicale, des trois homeland d’Amérique !
Je n’avais jusqu’alors, pas bien réalisé, que l’institution maligne de l’apartheid dans notre pays était aussi sournoise… Mais quand depuis sa plus tendre enfance on est bercé par la rhétorique France pays des droits de l’homme, on a tendance à se laisser anesthésier.
D’autant, qu’on est aussi, dopé par la fable du Chartier embourbé … souvenez-vous, celle où sous la plume de Jean de La Fontaine, Dieu dit à Hercule aide toi et ciel t’aidera … eh bien, on oublie qu’il s’agit d’une fable … ballot … n’est-il pas ?
Après avoir, sans succès tenté de faire produire plusieurs de mes scénarios, benoitement, je les ai présentés, à la commission d’avance sur recette du Centre National du Cinéma.
Ils ont tous été rejetés…
Toutes sortes de questions m’ont alors, assailli. Qualité du scénario Compétence etc… J’ai presque un temps été persuadé que ça pouvait être une question de talent… à moins que l’activité de cinéaste ne fusse interdite aux … aux … aux … enfin, vous trouverez …
Mais trottait dans la tête cette phrase de James BALDWIN dans sa correspondance à son neveu Big-James : Tu seras perdu le jour où tu croiras ce que le blanc dit de toi…
Alors, j’ai ri… et me suis ainsi décidé à faire lire mes scénarios à des amis … plus exactement, des connaissances qui dans le métier font autorité … Ils les trouvèrent bien écrits, intéressants mais difficiles à monter au prétexte que le public ne serait pas prêt à accepter dans l’Hexagone, des héros du morphotype de ceux décrits dans mes scénarios … oui, naïveté quand tu nous tiens !
Hé oui, pour que vive le mythe, il est indispensable de contrôler le fantasme. La France est un pays monocolore …
C’est ainsi que tout issu de la traite négrière qui veut réaliser un film, doit se résoudre soit à situer son action sous des cieux tropicaux soit à mépriser ce qu’il est intrinsèquement et se décrire comme inadapté au climat hexagonal.
Dès lors qu’il reste conforme à l’image de Razibus Zouzou dans Les pieds Nickelés, il pourra réaliser La deuxième étoile ou Caraïbe sur Seine et s’il se conforme à Epaminondas, là, il pourra même réaliser Au bain-marie dans la police …
L’IMAGE … L’IMAGE …. toujours L’IMAGE
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