Ophélia : Ma mission est de faire connaître la Dominique
En Dominique, tout le monde la connait et l’île aux 365 rivières n’a inversement pas de secrets pour elle. Rencontre avec Ophélia une grande dame de la chanson caribéenne sur ses terres.
97L : Racontez-nous comment êtes-vous devenue la diva de la musique dominiquaise
Tout a commencé en 1978 lorsque je suis partie à Paris avec mon mari qui est aussi mon manager pour enregistrer le premier disque avec Gordon Henderson le concepteur de la cadence lypso et qui dirige encore la marque Exile One. J’étais angoissée à l’idée d’être en face de ces musiciens de talent : ils étaient si grands dans mon esprit ! Je me souviens aussi que j’avais peur de la neige je ne savais pas si je pouvais marcher dedans et voyant les autres le faire je me suis dit que c’était comme la pluie.
« Aïe Dominique » était au départ un slow mais Gordon a suggéré de le transformer en cadence lypso. Le 4 février 1979 je faisais mon premier grand spectacle hors de la Dominique au Centre des Arts de Pointe à Pitre. Je me souviens avoir repris le morceau de Myriam Makeba « I shall sing » : les gens ont chanté avec moi, ils ont crié. Une cousine m’avait passé une robe émeraude avec de l’or trop petite pour elle on m’a dit que je représentais le soleil. Je ne savais pas qu’on allait m’accepter à ce point. Je suis arrivée en Guadeloupe comme dans une famille j’ai eu droit à des interviews un peu partout avec mon français à l’accent dominicain. Comme je l’enseignais j’avais une certaine formation j’ai pu donc m’exprimer et soutenue par un bel accueil et les encouragements du peuple Guadeloupéen j’ai pris confiance et je suis devenue progressivement une femme « doubout ».
97L : Vous définissez-vous comme une chanteuse engagée ?
On dit que je le suis c’est peut-être vrai mais ce que je fais c’est surtout laisser exprimer mon cœur. Ce que vous voyez dans ma vie c’est ce que vous verrez au spectacle : c’est la fille Ophelia qui parle de son pays, qui chante l’amour d’autrui bien sûr mais premièrement l’amour de la Dominique. A travers mes chansons les gens ont compris que la Dominique est un endroit qu’il faut visiter. Après les spectacles un peu partout en Guadeloupe, Martinique, Guyane, en France, en Belgique, en Allemagne, aux États Unis, ils se sont rendus compte qu’il faut qu’ils viennent eux même vivre au pays nature de la Caraïbe. C’est quelque chose qui m’a beaucoup plu c’est devenu ma mission de faire connaître la Dominique et la personne Ophélia à travers mes chansons.
97L : Pensez-vous que c’est la raison pour laquelle vous êtes si populaire en Guadeloupe et en Martinique ?
C’est ce qu’ils me disent donc je suppose que c’est vrai. Je suis devenue une référence les gens m’appellent l’ambassadrice du cœur, la grande dame de la musique antillaise. Je ne suis pas seulement dominiquaise je suis antillaise anglophone et francophone et cela me fait grand plaisir. A cause de cela je suis obligée de me maintenir comme un personnage positif, qui réunit les gens autour de bonnes choses. Disons que ce n’est pas facile lorsque les petits me disent en anglais « you are my raw model » c’est à dire je veux te suivre je te considère comme une il y en a qui me surnomment déesse. Ça me fait peur parce que le dire cela implique beaucoup de choses pour moi mais avec la force et la foi, j’essaie de garder le cap. Une fois on a dit que j’allais mourir. Il est vrai que j’étais malade. J’avais une polyarthrite rhumatoïde. Il a fallu que j’aille en Martinique et que je fasse un bilan total. J’avais maigri, des maux d’articulation, je n’avais plus de souffle. Ma voix a souffert mais avec les plantes et les médicaments prescrits, en se disciplinant et étant entourée d’une famille et d’un peuple qui m’aime, j’ai pu survivre et je suis là, je continue à chanter.
97L : Dans la continuité de votre mission musicale, vous avez votre hôtel…
Oui exactement. Je continue à inviter les gens à venir à la Dominique nous voir. « Chez Ophelia » est un centre d’hébergement où les gens viennent, vivent et partagent ce que nous avons. Nous habitons sur place et nous conseillons sur les sujets les excursions pour faire connaître ce qu’est vraiment la Dominique. Chaque appartement porte le nom d’une chanson. Il y des gens qui demandent « Aïe Dominique » ou bien « chanson d’amour », « lanmou lanmou » et les autres comme « I love you ». Comme j’ai été professeur je fais la même chose sur scène : j’enseigne. Je me souviens qu’une fois sur scène quelqu’un m’a demandé : » Pa ni on chanson porno alos ? » et je lui ai répondu en créole « Awa ! Pa ni chanson porno ». Les gens ont applaudi et ça m’a fait plaisir. Je peux dire ces gros mots là mais à quoi bon ? Ce n’est pas ma tâche ce n’est pas ma mission, je laisse cela à d’autres.
97L : Que vous pensez de la musique de maintenant ?
Je sais que quand j’ai commencé il y des gens qui n’ont pas compris parce que j’avais 26 ans à peu près j’étais jeune soi-disant et maintenant je ne comprends pas tout non plus mais si les jeunes ont des choses à dire et qu’ils arrivent à les dire à travers la musique je suis contente. Je préfère qu’ils jouent de la musique au lieu de faire des méchancetés aux personnes âgées qui ont besoin d’énergie et d’amour. J’aurais préféré avoir un peu plus d’amour à travers la musique parce que le jump up c’est un peu difficile. Ça aurait été bien si cela ralentissait de temps en temps pour qu’on puisse bouger parce que là on ne fait que sauter. Avec un peu plus d’équilibre, les jeunes comprendraient que les adultes veulent bien faire partie de leur mouvement mais si c’est trop rapide on n’arrive pas à suivre.
97L : Mais n’y a-t-il pas des musiques actuelles que vous aimez ?
J’utilise plutôt cette musique pour faire des exercices. Donc je ne l’écoute pas. C’est comme les gens disent Ophélia la femme qui chante aïe Dominique mais elles n’arrivent pas à citer les mots. Donc je suis pareille.
Ce que j’aime c’est le rétro. C’était déjà le cas quand j’ai commencé car mon papa chantait et c’est à travers lui qu’est venu mon amour pour la musique. C’est plutôt sa musique que j’ai aimé avant d’aimer les musiques qui existaient à l’époque où j’ai commencé. J’ai toujours préféré les personnes âgées aux jeunes. Je les trouve plus posées.
97L : Comment va la Dominique depuis le passage du cyclone Erika ?
Ça va très bien dirai-je parce que les gens qui connaissent les dominiquais savent qu’on n’a pas peur de travailler. Nous ne sommes que 70 000 sur l’ile mais ceux qui veulent trouver quelque chose à faire peuvent y arriver.
Le gouvernement et le 1er ministre sont allés demander de l’aide pour la Dominique et ils investissent dans le travail. L’accent est mis sur les jeunes il y a aussi les travaux sociaux pour les personnes âgées, les maisons de « Petite Savane » donc ça a apporté un peu de travail au pays.
Comme on avait annulé le festival mondial de la musique créole l’année dernière il y a beaucoup de visiteurs qui ont préféré differer leur séjour à la Dominique. Mais nous nous rendons compte que pour le prochain (du 28 au 30 octobre 2016) les réservations marchent bien. Vous vous rendrez compte qu’il y des ponts qui manquent, des rues à refaire à certains endroits mais vous serez bien accueillis.
97L : Quelle est votre actualité musicale ?
Je fais partie cette année du festival mondial de la musique créole. Je voulais faire aussi quelque chose en Martinique avec Queen Sheeba, Jocelyne Varanne il se peut que ça ait lieu et une ébauche de projet à la Réunion avec Anthony Gussy de New Exemple qui chantait « Aie maman ». Mais je ne peux pas dire qu’il y a ça ou ceci de concret. On va dire qu’il y a beaucoup de propositions et je suis contente que les gens se rendent compte qu’Ophélia chante encore et toujours.
Mimi GRED
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