Myriam Cottias : la déclaration du Président est la reconnaissance du travail mené par le CNMHE
Présidente du CNMHE, Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage, Myriam Cottias nous reçoit une semaine après les cérémonies du 10 mai. Présente sur toutes les photos officielles, elle nous parle de son rôle, peu connu du grand public, de la future fondation et de ses relations avec le CM98.
97Land : Quel bilan établir de cette 11ème journée des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions ?
Mardi dernier a été une journée engendrant de nombreuses satisfactions. Il y avait un invité d’honneur Jesse Jackson qui a donné une dimension internationale à cette cérémonie par sa présence et les mots d’apaisement prononcés. Il a insisté sur le fait que la France est le seul pays au monde à avoir une journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage.
La journée était bien sûr placée sous l’égide du Président de la République avec la présence de nombreux ministres, de députés, d’ambassadeurs et un public le plus large possible : cette année on a lancé 4000 invitations pour tenter d’ouvrir le Luxembourg à tout le monde et répondre ainsi aux reproches formulés. Pour la première fois le communiqué de presse de l’Elysée a reconnu qu’il existait un mois des mémoires du 27 avril jusqu’au 10 juin. C’est une façon de promouvoir les manifestations qui se déroulent sur l’ensemble du territoire dans l’hexagone, les Outre-mer et à l’étranger.
L’exposition de cette année, sur le thème de « résistance, résilience, vie d’esclaves et de descendants d’esclaves » dans l’espace Atlantique et dans l’Océan Indien insiste sur le fait que les esclaves se sont battus en permanence, ont lutté pour la reconnaissance de leur humanité et que leurs descendants acceptent ce passé violent, leur histoire particulière et souhaitent participer à l’organisation de la société… Elle est à voir dans les jardins du Luxembourg jusqu’au 1er juin. J’indique que le CNMHE met à gracieusement à disposition les panneaux de l’exposition pour les villes et associations intéressées.
97L : C’était aussi la première édition du Prix la Flamme de la Liberté.
Tout à fait avec pour cette 1ère édition plus de 2100 élèves participants, un succès malgré les délais très courts pour les réalisations et comme partenaires les ministères de l’Education Nationale, des Outre-mer et dont la gestion opérationnelle confiée à la fédération de Paris de la Ligue de l’enseignement.
Il y avait 5 prix : le collège Paul Capel de Guyane s’est distingué avec pour leur venue à Paris une mobilisation exceptionnelle pour une jeune n’ayant pas tous ses papiers pour voyager. Une classe de milieu carcéral de Fleury Mérogis et leur concept de société des détenus sans race a particulièrement retenu l’attention du jury. Ces jeunes ont une maturité de réflexion et leurs témoignes sur la privation de liberté bouleversants. Une classe de CE2 du Perreux remporte le prix pour le primaire, une mention spéciale pour un collège de Montceau les Mines et leur œuvre théâtrale. Enfin le prix du Président pour le lycée professionnel Guilllaume Tirel de Paris.
97L : Passons à l’annonce de la création d’une fondation. Vous attendiez-vous à une telle nouvelle ?
Au CNMHE, on ne pouvait pas être surpris. Tout au contraire la déclaration du Président a été un moment de satisfaction, car c’est la reconnaissance du travail mené au sein du Comité depuis un an. On travaille sur ce projet depuis des mois et des mois avec des réunions interministérielles. On est arrivé à finaliser un document avec des lettres d’appui d’institutions françaises et internationales.
Pour nous, c’est une très grande victoire. L’annonce de la Fondation, c’est la reconnaissance de la marque de fabrique, de la philosophie du Comité de la mémoire qui est de partir de l’histoire de l’esclavage et de l’inscrire dans une réflexion sur les valeurs de la République, la citoyenneté, le combat contre les discriminations et le racisme.
97L : Quel sera le travail de Lionel Zinsou pour la mission de préfiguration ?
Je pense qu’il est surtout chargé de voir comment peuvent s’articuler différents projets portés par des associations. Il y a des revendications sur le musée de l’esclavage et des revendications sur le mémorial. D’une certaine façon c’est cette harmonisation qu’il doit penser plus qu’une réflexion, déjà menée.
97L : Que va devenir le CNMHE ?
C’est un point sur lequel on est en train de réfléchir, ce n’est pas tranché. Moi je pense que le Comité devrait perdurer peut-être avec un périmètre plus réduit de conseil au gouvernement et qu’il y ait transfert sur la Fondation de tout ce qui est opérationnel, de tout ce qu’on a monté. Le prix, le mois des mémoires, le concours pédagogique, le prix de thèse, tout cela correspond aux objectifs de la Fondation fédérant toutes les thématiques d’esclavage, de traite et de citoyenneté.
97L : Peut-on se retrouver avec deux fondations : l’une de votre conception et l’autre « Esclavage et réconciliation » portée par le CM98 ?
Ecoutez, moi je ne sais pas. J’ai été très surprise de voir que notre idée était tellement bonne qu’elle a été reprise par d’autres et un peu en urgence me semble-t-il, sans qu’il y ait tout un substrat de réflexion comme nous avons pu l’avoir au sein du CNMHE.
Le dossier de fondation, élaboré par nos soins a été remis : des contacts ont été pris avec les autorités de l’Etat comme des autorités privées et étrangères. C’est un projet abouti qui est en train de se développer. On n’est pas dans la fiction mais dans le concret.
97L : Si je vous dis que pour la communauté, le CNMHE reste tout de même une nébuleuse…
Vous pensez ? J’estime que depuis deux ans nous avons beaucoup fait avancer la cause avec Angèle Louviers, la Directrice de la programmation et de l’animation, Florence Alexis chargée de mission et les quatorze membres dont beaucoup d’universitaires. Ce que nous avons réalisé, nous l’avons imposé car nous sommes des combattantes, des fem’ doubout. Le travail et l’adversité ne nous font pas peur malgré la volonté de certains de nous mettre des bâtons dans les roues.
Les rencontres citoyennes, les reconnaissances officielles font avancer la cause sur la compréhension de l’esclavage et ce de manière effective. On ne mesure pas assez l’importance d’un concours national pédagogique sur l’esclavage : c’est un pas de géant, je le dis en toute modestie. Toutes les classes de France vont être amenées à travailler sur l’esclavage et la traite. Il va y avoir une circulaire qui partira du ministère de l’Education Nationale, transitera par les recteurs dans toutes les académies et sera transmise à tous les chefs d’établissement. Le mois des mémoires permet la reconnaissance d’évènements commémoratifs hors de Paris et reconnus par le grand public, répertoriés sur le site internet.
On n’est pas dans le discours, mais aussi dans les actions concrètes : le concours pédagogique, les albums pédagogiques. Et la fierté des ultramarins découvrant l’exposition qui donne un visage à cette histoire de l’esclavage dans les jardins du Sénat me dit qu’on a eu raison.
97L : Dans un communiqué, la ministre des Outre-mer cite à la fois le CNMHE et le CM98. Est-ce une tentative de réconciliation entre vous ?
En tout cas la volonté de consensus est évidente. Ensuite on peut s’interroger sur la volonté réelle d’apaisement ou est-ce que c’est la satisfaction d’intérêts très localisés et partiels ? Mais je ne peux répondre à cette question.
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