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Michel Onfray, la Martinique et le grand désordre tropical

Une vision de la Martinique bonne pour y vivre mais pas pour y souffrir. Nous avons relevé les propos de l’essayiste Michel Onfray dans sa tribune « Qu’est-ce qu’un chef ? » publiée la semaine du 8 avril. Et l’on découvre que le philosophe, Pierrotin d’adoption, ne vivant pas dans un tonneau comme Diogène, sait se montrer réaliste. 

 

« Nous sommes mi-mars. Dans les médias, on parle alors beaucoup du professeur Raoult.

… C’est donc… en Martinique, avec le décalage horaire, j’ai reçu un matin très tôt le message d’un amie journaliste franco-libanaise qui me demandait si elle pouvait donner mes coordonnées téléphoniques au professeur Raoult…

C’était assez surréaliste de converser avec cet homme que la presse mondiale sollicitait et qui trouvait le temps d’une conversation philosophique. Je l’imaginais croulant sous les sollicitations planétaires et nous parlions de… Nietzsche. Le Gai Savoir fut pour lui comme une révélation…

Quelques jours plus tard, je quitte la Martinique. On annonce un confinement plus drastique, il est question d’un embargo total des vols, d’une interdiction des échanges entre l’île et la métropole, d’un prochain vol prévu en juin… Dorothée nous réserve un billet de retour en urgence. Nous partons. Ma mère a quatre-vingt cinq ans, elle ne tient pas une grande forme, je ne voudrais pas ne pas pouvoir ne pas m’occuper d’elle. Et puis, si le coronavirus devait faire son travail, mon passé étant un passif, infarctus, AVC, accidents cardiaques, je préfère me trouver en métropole. Enfin et surtout, je ne veux pas exposer Dorothée à ce qui ne serait pas le meilleur pour elle. (Dédicace au CHU de Martinique)

Nous avons des masques et des gants. (Donc protégés et tant pis pour les autochtones) Mais la situation sanitaire est catastrophique dans l’aéroport : une file d’attente sur une centaine de mètres, les gens sont à touche-touche, pas un uniforme, ni policier, ni gendarme, ni militaire, (pour faire régner l’ordre ?) pas de personnel aéroportuaire, il va falloir attendre trois heures les uns sur les autres.

Les valises et les sacs copulent dans un grand désordre tropical. (Eternel exotisme sexuel ?) Il fait chaud, tiède, moite. Les gens vont et viennent. Les enfants sont assis sur les bagages. Mais pas seulement. (???) Lors de l’embarquement, tout le monde se rue sur tout le monde. L’appareil est un Boeing 747 affrété pour Corsair, soit quatre à cinq cents personnes en meute…

Tout le monde pense au coronavirus à cet instant : comment passer à coté ? D’autant que les huit heures de vol vont s’effecteur avec un air brassé qui est celui du bouillon de culture de tout le monde… Mon voisin éternue comme un héros de Rabelais – il en fout partout…

Arrivée dans un aéroport vide, nous récupérons notre voiture, nous rentrons en Normandie. Trois heures en solitaire sur l’autoroute. Caen est une ville morte…

Le lendemain matin, terrible mal de tête, courbatures comme si j’avais été roué de coups, début de fièvre – je la supporte habituellement assez mal… Elle va grimper en continu jusqu’à atteindre 40°, elle ne quittera pas cet étiage pendant une semaine, nuit et jour. Je crains pour Dorothée qui a prêté son appartement à son fils. Elle est confinée avec moi. Je ne voudrais pas l’exposer; je lui confesse mes symptômes, elle m’avoue les mêmes… Nous appelons notre médecin qui, au vu de ce que nous lui racontons, conclut que tout cela ressemble bel et bien au covid 19… Avec prudence et force circonspection, il convient que c’est ça – « Vous l’avez chopé… » nous dit-il avec une vraie tristesse dans la voix.

Nous vivons donc le covid de l’intérieur : il n’est plus à craindre, il est là. Plus besoin d’avoir peur qu’il nous tombe dessus, il est dedans nous. C’est désormais la roulette russe…

Je songe donc à ce virus et à ce qu’il va faire de Dorothée, de moi. Je songe à mes morts et je n’imaginais pas que je devrais envisager les retrouver conduit par ce genre de virus issu d’une soupe chinoise de pangolin ou d’un bouillon de chauve-souris. Je transpire nuit et jour à 40 degrés. Mon cœur bat à tout rompre. Je sens les emballements de diastoles et de systoles que je connais bien. Je retrouve les pétillements, les crépitements, les griffures sur la peau de mon cerveau abîmé par les AVC. Je renoue avec les forages qui m’avaient troué le cerveau à cette occasion. Un jour, deux jours, trois jours, quatre jours, cinq jours, six jours à ce rythme entre 38 et 40 de température… Le cœur qui bat la chamade, la pression artérielle qui cogne contre les tubulures. Je ne m’étonnerai pas que tout ça lâche d’un coup.

Dorothée ne va pas bien. Elle accuse des symptômes méningés. Elle est hospitalisée six jours. Je suis seul, en tête à tête avec ce cerveau brûlant et brûlé, guettant la surchauffe qui m’emportera peut-être tout entier comme une hache tanche d’un coup le nœud gordien. Chaque matin, dans mon lit trempé comme une soupe, je me réveille en me disant  que ça n’aura pas été cette nuit.

Et puis, le 28 mars à 20h03, je me décide à envoyer un texto au professeur Raoult pour lui raconter ce qui se passe en quelques lignes -diarrhée, migraines, température, courbatures, antécédents d’infarctus et d’AVC, tension élevée, j’ajoute que Dorothée est dans le même état, mais hospitalisée … Il me rappelle dans le quart d’heure et me demande si je souffre d’anosmie et d’agueusie : anosmie et agueusie, non, je n’ai pas perdu le goût mais il s’est modifié – tout est devenu terriblement amer.

L’échange a duré moins de quatre minutes. Il conclut: « ça n’est pas le covid ». Puis une phrase qui se perd après cette information qui me sidère et qui donne une posologie de je ne sais quel médicament pour je ne sais quel cas. J’étais, nous étions positifs au covid : nous ne l’étions plus. Mais quoi alors ? Il n’y avait plus rien ni personne au bout du fil. Sauf cette fulgurance dont seul est capable celui qui sait parce qu’il voit.

L’hôpital fit savoir quelques heures plus tard à Dorothée qu’elle n’avait pas le covid, donc probablement moi non plus. C’était une dengue autrement dite une maladie tropicale. (En 2010, 90 000 cas aux Antilles. Le nombre de cas de Covid 19 pour la France il y a 2 jours)

Celui qui avait lu Nietzsche quand il avait une quinzaine d’années n’avait pas effectué tout ce compagnonnage avec Le Gai Savoir en vain – il en avait appris la sapience véritable. Il est un chef »…

Michel Onfray

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