Société

Marie-Thérèse, on a oublié ta nonchalance

C’etait en 1992. L’hôpital, le sketch de Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Legitimus, les fameux inconnus remporte un succès fulgurant : le médecin pour qui un patient est un client et les aide-soignantes antillaises Marie-Thérèse et Joséphine traînant des pieds, personnages devenus cultes, se querellant à la fin.

Qu’est-ce qu’on s’est moqué d’elle, Marie-Thérèse, ses 4 000 collègues ultramarins de l’AP-HP Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, ceux des hôpitaux de province et toutes les travailleur(se)s dans les EHPAD !!! Dans la société française des années 90 de l’argent facile et du capitalisme sauvage, elle devient l’archétype du looser. Il est de bon ton de se moquer de son accent, de son manque d’ambition, de son éducation imparfaite, de son ado renvoyé du collège, de son HLM dans une banlieue dite pudiquement difficile.

À elle l’ingrate tâche de travailler les jours fériés, les soirs de Noël pendant que les bonnes gens se lamentent de payer trop d’impôts dont le scandaleux congé bonifié.

Sans avocat pour la défendre, elle a du ravaler sa fierté et a trimé, pendant que l’on rabotait les crédits alloués à la santé, dispensant jour après jour les soins d’hygiène aux malades, assurant l’entretien de leur environnement et du matériel médical, assurant la transmission avec l’entourage familial.

Déclassement social, burn-out, malaises et suicides se sont succédés. Mais qui, aurait pris au sérieux « Mawie-Thewese » du Morne Rouge, de Petit Canal ou de Vergoz ? Ni les gouvernants bien sûr ni ceux de sa communauté non plus qui l’ont cantonnée dans un rôle de reine des accras… À la poto-mitan, on lui accorde du bon sens, de la douceur pour ses petits enfants et des colères monumentales. Mais jamais on ne penserait lui confier un micro pour qu’elle expose ses doutes, ses difficultés. D’ailleurs, c’est elle que l’on voit quitter discrètement la salle alors que les autres pérorent, s’excusant timidement de travailler aux aurores le lendemain.

1992, 2020. Une génération plus tard, une France attérée donneuse de leçon, découvre un virus qui ne respecte ni les puissants ni les fortunés. Les soignants sont acclamés à 20 h. Mais après tant d’années de mépris, tu n’es pas dupe Marie-Thérèse ! À 20 h 10, peu se soucient de toi. Tu n’es pas médecin, pas même infirmière. Et si tu portes le même masque pendant 8 h, ma foi, cela ne soucie guère que tes proches. Il te sera expressément demandé cependant de ne pas contaminer les autres.

Aussi demain Marie-Thérèse, de ma fenêtre je t’applaudirai pour tes exploits au quotidien. Tu n’as jamais cherché à être une héroïne. Te voilà un fantassin mal armé dans une guerre invisible. Et ensuite… n’espère rien ! Rien car, après une bataille, seuls les généraux bénéficient de promotions.

Prends soin de toi.

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1 Comment

  1. Guy Girard
    mars 24, 2020 at 14:38 — Répondre

    POUR MARIE-THÉRÈSE ET JOSÉPHINE CHAQUE JOUR QUI SE LEVAIT ÉTAIT UNE NOUVELLE ÉPREUVE DE COURAGE !

    Merci à Marie-Thérèse et Joséphine, aides-soignantes antillaises caricaturées alors par les humoristes des Inconnus (Légitimus et ses comparses). Elles ont porté sur leurs épaules la mauvaise organisation que connaissait à cette époque nos hôpitaux.
    En ce temps-là, l’humour consistait à rire de soi mais aussi plus souvent des autres (belges, écossais, africains, juifs, corses, auvergnats, antillais et autres provinciaux). Cette période semble maintenant bien loin de nous à tort ou à raison.
    Pour ma part, je me souviens aussi que dans ces années-là (ce doit être 1998?), la MNH (Mutuelle Nationale des Hospitaliers) avait contribué à l’édition d’un opuscule fort intéressant qui rendait hommage à tous ces personnels hospitaliers que des raisons économiques avaient (à l’instigation du Bumidom) contraint à migrer en France hexagonale pour occuper les postes les moins valorisants dans l’administration. L’opuscule de la MNH valorisait des parcours individuels, dont certains à force de sueur et de courage, avaient réussi à gravir un à un les échelons de l’administration jusqu’à changer le cours de leur destinée. Marie-Thérèse et Joséphine, c’était aussi ces femmes et ces hommes qui avaient quitté la chaleur des tropiques pour venir se confronter aux rigueurs de l’hiver dans l’hexagone. Une société dont ils ignoraient tous les codes, dans le secret espoir de réussir leur vie, celle de leurs enfants, de leur famille.
    Ce serait intéressant de pouvoir retrouver de tels documents dans la perspective du fameux musée des outre-mer que nombre d’entre-nous appelle de leurs vœux.
    Guy GIRARD

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