Littérature

MACHO TROPICAL, ES-TU LA SEULE DENREE EXCEDENTAIRE DE CUBA ?

Cher macho cubain, ne serais-tu que le point minimum (critique) d’une courbe mathématique, l’option zéro, une hypothèse par l’absurde, économiquement désastreuse, sentimentalement limitée, et condamnée à boire du rhum de mauvaise qualité ?

« Dans ce pays tout le monde boit. Quand on est triste, on boit parce qu’on est triste, mais quand on est content, on boit parce qu’on est content. Quand on n’est ni content, ni triste, on boit quand même ».

CUBA serait peut-être l’espace clos d’une révolution figée, narcissique et fantasmagorique, hantée d’inquiétants sous-espaces, aspirée par les contraintes capitalistiques, une illusion féconde, colorée des prestiges de l’imaginaire. ( 1)  

Mais puisqu’il faut désigner un(e) coupable, il m’échoit donc le redoutable privilège d’être la nonne hérétique, turpide et fallacieuse, dans cette île de la Révolution Sacrée et de la Régénération sociétale.

Karla SUAREZ, écrivaine cubaine résidant au Portugal, a honoré de sa présence, le 26 janvier 2018, la soirée littéraire de l’ASCODELA, consacrée à sa dernière fiction, LA HAVANE ANNEE ZERO, prix du livre insulaire 2012 et prix Carbet de la Caraïbe en 2012.

Gishlaine TASSIUS et Marie-Claude TORMIN, ont présenté l’équation politico-économico-sociétale cubaine à plusieurs inconnues, développée par ma créatrice, dans LA HAVANE ANEE ZERO. Le roman est traduit de l’espagnol, par François GAUDRY, et est paru sous le titre original « Todos mienten ».

Je suis JULIA, l’héroïne de l’histoire, comme le mathématicien français GASTON JULIA. (Ce prénom m’a été attribué, car en tant que professeur de mathématiques, je partage cette dévorante passion avec notre écrivaine Karla SUAREZ, ingénieur de formation).

Le quadrilatère amoureux que je forme avec Angel, Euclidès, et Leonardo, se lance à la recherche des preuves qui établiraient de manière irréfutable, qu’Antonio MEUCCI , un grand inventeur italien a inventé le téléphone à CUBA plusieurs années avant l’américain Graham Bell.

En tout cas, cher macho cubain, tu as pu te rendre compte qu’on ne pouvait pas me traiter de mijaurée pusillanime, puisque j’ai défendu chaque pouce du territoire cubain contre les ennemies sournoises de Notre Révolution, Italiennes ou pseudo-italiennes adeptes de soutiens-gorges arachnéens et minimalistes, et qui meurent d’envie de défiler avec toi le 1er mai, accrochées à ton bras, te serrant d’un peu trop prés !

J’étais toute fière d’être présentée, en tant que personnage principal, devant l’estimable et caribéen public de l’ASCODELA, ce 26 janvier 2018.

Je pensais être avec Karla, en quelque sorte, la guest star et qu’on me décrirait comme une jeune et séduisante princesse, quoique habillée en souillon et réduite à des tâches ingrates, (pense à mon salaire de professeur dans un lycée à Cuba), condamnée à rêver sur le Malecon, cette promenade de front de mer, située au nord de la Havane,

Or, sais-tu ce que Karla et le public ont laissé entendre ? Que mon amour pour Angel n’était pas si désintéressé que cela ? Que les jeux de séduction amoureuse avaient peut-être pu être enclenchés pour cacher des réalités plus triviales ? Je me suis sentie dénigrée. Moi vénale ? J’aurais donc une calculette de l’amour à la place du cœur ? Quelle est la loi scientifique qui empêche d’aimer plus ou moins ? Même si je reconnais que cette mystérieuse attraction nous rend capables du meilleur comme du pire, et que j’ai tendance à quantifier la pensée humaine (et donc l’amour) par des formules mathématiques. Mais toutes les passions n’ont-elles pas leur géométrie ? Spinoza considérait lui-même les sentiments, « ces affects », comme s’il s’agissait de lignes, de plans, et de corps, dans son ouvrage l’Ethique. J’aspire moi aussi à la construction d’espaces affectifs singuliers, et je propose mes propres outils de compréhension et d’évaluation. N’en déplaise à Karla !

Et si les personnages sous le joug de leur auteur, décidaient de se révolter ? Et quand bien même j’aurais menti à mes trois Dom Juan effrontément, « Le bonheur qui nous vient d’un mensonge est le même , Que s’il était prouvé par l’algèbre » assurait Théophile GAUTIER, dans le poème Albertus.

Ecoute donc mes chiffres, cher et fier cubain, qui valent bien tous les philtres d’amour !

Prends le chiffre trois, par exemple.

Voilà comment Métaillié, l’éditeur de Karla, présente mes « cristallisations amoureuses ».

Cuba, 1993. C’est la crise, on ne trouve plus grand chose à manger, et faute de carburant tout le monde roule à vélo. Julia enseigne les maths dans un lycée technologique. Elle navigue entre trois hommes, trois histoires, toutes différentes. Euclides, son ancien prof de faculté, ex-amant, est brisé par l’exil de ses enfants. Angel est un bel amoureux qui en outre dispose d’un bel appartement dans le quartier du Vedado -en plein centre-ville- un luxe rare à l’époque. Leonardo est un écrivain à lunettes, grand amateur de rhum et affabulateur de première.

Non, non, non, cette présentation est trop orientée. Je t’en propose une autre. Si le séducteur et écrivain vénitien Casanova a pu se vanter dans ses mémoires d’avoir eu cent-vingt-deux amoureuses qui ont chacune emporté un petit bout de son gigantesque cœur, moi c’est mon cœur que mes amoureux ont découpé en trois morceaux. Une étude d’un diamantaire a ainsi établi que nous tomberions amoureux(ses) trois fois au cours de notre vie, et chaque fois pour des raisons différentes. Trois fois amoureuse, trois fois victime (mais consentante), trois fois où j’ai découvert, malgré moi, que mon cœur avait des sentiments que je croyais ignorer… et que mon corps avait des désirs que je ne pouvais refuser.

De la même manière, j’applique aussi les règles mathématiques aux hommes. Ne t’ai-je pas dit que j’adorais les hommes  « Je les classifie, je les ordonne comme des nombres : naturels, entiers, complexes ou réels ». Je souscris aussi à la définition suivante. L’homme est une entité charnelle qui se situe entre l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Car « la seule chose qu’ils ont véritablement en commun, c’ est que tous sont nus sous leurs vêtements, et que par là commence la recherche des propriétés qui les font appartenir à un même ensemble ». Leur attribut viril sera le plus petit ou le plus grand dénominateur commun.

Euclides, mon ancien professeur d’université, a eu son heure de gloire.

Angel, l’archange blond, est un trésor de tendresses et de caresses suaves.

Mais Leonardo, le mulâtre à lunettes, est sans conteste le cuirassé Potemkine.

Passons maintenant à notre enquête.

N’as-tu pas remarqué que tant la littérature qui subit la fascination des sciences que les mathématiques aspirent à la vérité ? Les mathématiciens, comme les écrivains, créent des mondes, des espaces, des univers, des relations entre les objets.

Karla ne pouvait être que fascinée par l’Oulipo, ce groupe composé d’écrivains dont les œuvres sont établies à partir de contraintes, de règles formelles, et baignant dans les mathématiques. 

Raymond Queneau, Italo Calvino, ont expérimenté qu’une œuvre littéraire pouvait être conçue comme une démonstration mathématique. N’oublie-pas que Karla et moi avons une connaissance approfondie des algorithmes, ce simple ensemble méthodique d’étapes, qu’on utilise pour résoudre des problèmes !

La Havane, année zéro, fait partie du genre littéraire qui procède en parfaite analogie avec la résolution de théorèmes , dans laquelle l’ établissement du résultat final vient par phases progressives.

Analysons nos données. Il n’y a pas de problème qui n’ ait une solution, et si je ne trouve la solution définitive, je dois au moins dégager une voie, une solution médiane.

La fille d’Euclides, Margarita, qui n’est autre que l’ex-femme d’Angel, avait possédé le document de Meucci.

Leonardo essayait d’écrire un roman fondé sur ce document.

Angel voulait le restituer à Margarita (il se serait agi d’une romantique histoire de restitution de relique).

Leonardo était un grand ami de Margarita, et quelques années plus tôt, elle lui avait montré le document qui faisait partie de la relique familiale. Ce jour là, il avait eu l’ idée d’écrire un roman, et il avait commence à collecter des informations.

Margarita avait décidé de partir, mais vu l’ importance de l’ œuvre, elle confierait le document à Leonardo, car lui seul en ferait bon usage. Elle est partie pour ne jamais revenir et a oublié la relique.

Quand elle a appelé Angel, pour la lui réclamer, il lui a répondu que si elle la voulait, elle devait revenir avec lui, ce que bien sûr elle a refusé.

Angel aurait gardé et dissimulé la relique. A moins qu’Euclides, ne l’ait volée à sa fille ?

Mais si Leonardo était le véritable maître du jeu, et un menteur effronté ?

Euclides, serais-tu voleur de feu ?

Toi qui fus mon Titan, à l’instar de Prométhée, qui défia le Dieu suprême, tu aurais pu être « transmetteur du feu », et dérober le document pour l’offrir aux hommes, sinon aux Cubains.

Mais après avoir découvert que tu t’es frauduleusement octroyé les mérites de ma thèse universitaire, et que tu n’hésites donc pas à instrumentaliser les autres, et à les manipuler, ta recherche frénétique des preuves de l’antériorité de Meucci dans la découverte du téléphone, m’a fait parvenir au constat cruel que tu n’étais plus qu’un homme déjà âgé qui n’avait plus que cette quête désespérée pour trouver une raison de vivre.

J’aurais pu être cynique en t’assénant cette terrible vérité. L’impasse dans laquelle s’épanouit le moi idéal mégalomaniaque ne sera surmontée que lorsque celui qui incarne la fonction de père, réussira à tolérer une auto-castration symbolique. (2) Après avoir été mon amant, n’étais-tu pas devenu en quelque sorte la figure paternelle idéalisée ?

Mais j’ai réalisé que Karla avait brossé le portrait-type universel de l’homme déclassé, mais qui poursuit un idéal, et que nous, humains, nous ne sommes pas identiques à notre vie. Notre vrai milieu, notre vraie nourriture sont « les possibles ». Et que moi la première, nous avons faim de ce que Thomas PAVEL nomme notre « ration de nourriture symbolique ».

Mon Ange, à la façade trop lisse

Tout au long du roman, je ne cesse de répéter, de façon quasi-incantatoire, mon Ange. Etait-ce prémonitoire? Je me suis laissée griser par ton charme fou, sans avoir décelé ta fragilité.

Pouvais-je savoir, cher Angel, que tu étais condamné dès que Karla t’a créé, à l’exil, à la dépression et à sombrer dans l’alcool, que tu serais l’archange désespéré qui heurte ses ailes contre les murs de prisons visibles ou invisibles, comme William, – héros tragique et figure emblématique du roman d’un autre écrivain cubain, Guillermo Rosales-, longtemps introuvable dans sa langue d’origine, The Halfway House, reparu sous le titre de Boarding Home, publié en français sous le titre de Mon Ange (Actes Sud 2002) ?

Ce livre raconte l’histoire de William Figueras, écrivain cubain expatrié à Miami. Ceux qui avaient un profond déréglement mental étaient envoyés dans des centres, (les Boarding Home), asiles privés qui recueillent des inadaptés et les dépressifs. Guillermo Rosales a également été pensionnaire d’un boarding home.

« Cuba ce n’était plus possible. Ici c’est pire. Mais au moins ici, je suis libre. Libre de vivre au milieu de débris humains, libre de lire mon recueil de poètes anglais, libre d’aller pisser au milieu du réfectoire, libre de prendre Hilda par derrière, même si cela lui fait mal à cette vieille suintant la pisse. Un jour, je partirai. Il le faut, si je veux retrouver le chemin de l’écriture, la voie de l’ espoir et celle de l’ amour.

Il représente l’« apatride halluciné, vivant dans un univers clos sans fuite possible, aux mains des êtres du monde libre ».

Une romance se noue entre Francine -une des patientes du « boarding home-  et William, cette première ne cessant de lui répéter « mon ange » . Figueras ne trouvera d’issue que dans la mort.

Guillermo Rosales s’est donné également la mort à l’âge de quarante-sept ans, en 1993.

Comme en écho morbide de ces êtres désespérés, un jeune cubain se suicide dans les dernières pages de la Havane année zéro, et laisse sa famille et ses amis désemparés.

Et toi, Leonardo, es-tu le dissident absolu exilé de tous les territoires connus ? ( raciaux littéraires, géographiques et politiques)

Mais avant tout, tu es le chaînon manquant, ce concept qui désigne une forme intermédiaire, fossile ou non, entre deux espèces.

Nous sommes fascinés par ton sens de la débrouille, par ton ingéniosité, par ta soif de connaissances, par ta verve intarissable.

Les êtres humains, et tous les êtres vivants de cette planète, jusqu’aux virus, selon YUVAL Harari, dans SAPIENS une brève histoire de lhumanité, ne sont différents des ordinateurs, que dans le sens où ce sont des algorithmes biochimiques, qui ont évolué au gré de la sélection naturelle, sur des millions d’années.

C’est vrai, il faut l’admettre, la Révolution cubaine a créé un homme nouveau, mais pas dans le sens que l’on pourrait supposer.

Ainsi, toi, Leonardo, « il ne t’a fallu que quelques années pour n’être plus totalement humain. (Tu) appartiens à la race des nouveaux centaures, avec des roues à la place des jambes. Dans ce pays où on teste de nouvelles créations, avec des êtres qui se nourrissent de hachis de soja et d’eau sucrée, des êtres du futur, et qui emploient un minimum de recharges énergétiques pour ne pas tomber à genoux.

Toi, le Cubain du futur, tu n’ auras sûrement pas de jambes, mais un petit estomac et une paire de roues. Tes jambes seront une sorte d’organe qui aura fini par fusionner symbiotiquement avec les pédales de la bicyclette, sans aucun souvenir de ta fonction antérieure ».

Sur cette île de Cuba, où tant de héros supposés, se trouvent ensevelis, après y avoir créé leur légende, (3) tu es la figure de proue du stoïcisme cubain, avec tes sens aiguisés et vibrants, ton esprit douloureusement subtil… et ton sang brûlé d’alcool. (4)

Mais je te saoule par mes paroles. A cette heure, on ne voit personne ni aux fenêtres, ni aux balcons, tout le monde regarde la telenovela. Je contemple depuis l’ appartement du Vedado, la nuit cubaine , et je crois éprouver un sentiment de plénitude.

Et à toi, estimable public de l’ASCODELA, si Karla avait daigné m’accorder la parole, j’aurais affirmé sans honte : Cet appartement est mien maintenant. En tout cas, je le revendique comme tel.

J’ai enfin conquis mon Graal.

1) L’illusion féconde de Gustave Thibon : Existe-t-il en ce monde un seul bien, depuis les objets matériels jusqu’aux choses de l’âme et de l’esprit, que notre désir et notre attente ne colorent pas des prestiges de l’imaginaire ?

2) Le mythe de Prométhée et les figures paternelles idéalisées

3) « Voici où je crée la légende dans laquelle je m’ensevelis » ** Miguel de Unanumo cité par Henri Miller dans Printemps Noir

4) L’homme moderne par Paul VERLAINE

 

Daniel C.

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