L’oiseau Zombie : entre l’Inde et Trinidad…
Joan DEGLAS et Johanne DAHOMAIS, le duo féminin mythique de l’ASCODELA, assuraient la présentation de L’oiseau zombie, roman de l’écrivain américain d’origine trinidadienne, Ismith KHAN.
Le titre original du livre est « The Jumbie Bird ». Il explore les tensions sociales, politiques et ethniques, de cette époque, à travers la vie d’une famille de trois générations d’Indiens à Trinidad. Il a été écrit dans la période agitée précédant l’indépendance, et a pour toile de fond des événements historiques réels. Il a été édité pour la première fois en 1961, l’année précédant l’indépendance de l’île. Sa traduction française est parue aux Editions Japper, sous le nom de « l’oiseau zombie », avec une traduction de l’écrivain mauricien, Carl de Souza.
L’auteur
Une interview du journaliste Frank Birbalsingh nous livre des renseignements précis. Ismith Khan, est né à Port-of-Spain en 1925, au 48 de la rue Frederick.
Son père né en Inde devait avoir environ 10 ans lorsque sa famille en provenance du Guyana a émigré à Trinidad, à Princess Town (l’ancienne capitale du sucre). Ismith Khan a été fortement influencé par son grand-père, originaire des plateaux du Nord de l’Inde, et qui avait eu une carrière militaire en Inde, chassé par le Raj britannique.
L’écrivain a passé son enfance dans cette maison qui donnait sur la célèbre place de Woodford, où une grande partie de l’action se déroule.
La famille d’Ismith Khan était musulmane, mais il ajoute que si sa mère était très religieuse, son père était très peu pratiquant. Il est allé à la mosquée uniquement pour les grandes fêtes religieuses, tout comme son père. Ce dernier n’a jamais travaillé dans les champs de canne; il était bijoutier.
Ismith Khan est parti faire des études de sociologie au Etats-Unis, où il y est demeuré jusqu’à sa mort en 2002.
ROYDON SALICK a publié ISMITH KHAN, The Man and his work (l’homme et son œuvre). Il émet l’hypothèse que la critique littéraire aurait délaissé l’écrivain, eu égard au fait qu’il se serait installé en Amérique plutôt qu’à Londres, cette dernière servant de capitale littéraire aux anglophones caribéens, depuis les années 30 et jusqu’à la fin du XXème siècle. Les critiques ayant redécouvert cet auteur singulier le placent d’ores et déjà au sommet de la littérature caribéenne.
N.B : Les immigrants originaires de l’Inde ne sont pas tous hindous. Une importante minorité musulmane est originaire du Nord de l’Inde. Selon un recensement officiel, établi en 1990, 29,4 % de la population trinidadienne est catholique, 23,8 % est hindoue, 10,9 % est anglicane, 5,8 % est musulmane.
Les passionnantes révélations d’Ismith Khan
SUR SON ENFANCE
Lors d’un entretien accordé à « l’Indo Caribbean World » avec Sasenarine Persaud, il indiquait qu’il avait utilisé le véritable nom de son grand-père dans le roman, mais que celui de Binti était fictif.
L’amour profond pour Woodford, qu’on ressent dans le roman, provient du fait qu ‘il est né et a été élevé au 48 de la rue Frederick. Naipaul et Selvon ne sont pas nés à Port-of-Spain, indique-t-il, même s’ils se sont installés dans la capitale plus tard. Ce qui expliquerait que Naipaul n’ait pas écrit grand chose sur Port-of-Spain, ( sauf en ce qui concerne la rue Miguel) quoiqu’il ait beaucoup écrit sur Trinidad.
Nous apprenons que le père avait un magasin de bijoux au rez-de-chaussée, et qu’ils vivaient à l’étage.
« The red House »- le palais de justice- était là-bas, l’église de la Trinité à gauche, la bibliothèque publique et la mairie à droite. C’était mon terrain de jeu ».
Si vous désirez accomplir un pèlerinage littéraire au 48 de la rue Frederick, vous serez cependant déçus puisque l’immeuble a été rénové, et est transformé en bureaux. Il y avait effectivement un oiseau zombie et un calebassier. Il aurait même voulu donner comme titre au roman l’oiseau zombie et le calebassier, mais son éditeur le trouvait trop long.
Ses deux grands-parents étaient séparés comme dans le roman. Le grand-père avait pris les deux garçons et les a élevés lui-même. Il laissait sa grand-mère se débrouiller, et c’est ce qu’elle faisait, notamment grâce à son « coal-shop » ( vente de charbon ).
Il était très attaché à sa grand-mère, mais aussi à son grand-père. Il a en définitive passé plus de temps avec ses grands-parents qu’avec ses père et mère, pendant sa tendre enfance.
Le journaliste a souligné que le personnage de Binti est le personnage de femme indienne le plus fort produit par un écrivain homme des Antilles. Et en effet dans le roman, non seulement Binti assure avec détermination sa subsistance économique, mais son amour et ses valeurs positives rejaillissent sur tout l’univers familial.
SUR SON OEUVRE LITTERAIRE
La communauté indienne est décrite dans The jumbie bird parce qu’en tant que jeune romancier, il pensait qu’il n’avait pas encore les armes pour appréhender la société multiraciale.
Y aurait-il une littérature, une esthétique indo-caraïbes, différentes des expressions afro-caribéennes ? Non, il voulait juste bien écrire. C’était son unique aspiration.
Son deuxième roman The Obeah Man traite par contre de l’ensemble de la société trinidadienne. Mais The Obeah Man est complètement imaginaire. Ce qui a déclenché une réaction négative du critique Jeremy Poynting pensant qu’il avait éludé la question, puisque le personnage principal est décrit comme pouvant avoir des caractères asiatiques, africains, indiens, et ainsi de suite.
Or il n’était pas dans son intention d’être évasif. Il ne voulait pas écrire un roman qui pouvait opposer les noirs aux indiens. Il voulait seulement écrire ce qu’il considère comme une œuvre d’art, c’est-à-dire un homme qui est à la recherche de lui-même, qui se demande qui il est, d’où il vient, et vers où il se dirige (Ces interrogations déjà présentes dans The jumbie bird avaient été clairement explicitées par nos deux présentatrices). On tendrait vers un personnage « raceless ».
SUR SES RAPPORTS AVEC TRINIDAD
Il a voulu revenir à Trinidad, après l’indépendance, pour apporter sa contribution. Mais il a ressenti qu’en tant qu’indien, les portes lui étaient fermées. Il était déchiré. Il n’a pas trouvé les appuis nécessaires.
Marié, ayant fondé une famille, il ne pouvait rester sans travailler. Pourtant beaucoup d’auteurs ont semblé minimiser à l’époque la bi-polarisation ethnique de l’île, en disant qu’il n’y avait pas de conflit entre les deux races principales.
SA VISION DE LA DIASPORA INDIENNE ?
Les Indiens seraient-ils des « homeless »? Tout cela est-il censé mener quelque part ? C’est comme si nous étions les juifs de l’errance, souligne-t-il. Où allons-nous ? Peut-être à la liquidation. Car nous ne pouvons pas revenir en Inde.
La toile de fond historique
Avant tout, Ismith Khan, subtilement, nous glisse qu’il pourrait parler d’autre chose, établir des fresques romanesques somptueuses. Comme pour Sir Walter Raleigh qui fit escale à Trinidad en 1595, avec quatre navires et trois cents hommes avant de reprendre sa route vers le Venezuela et l’Orénoque, ou pour évoquer l’époque des flibustiers ?
« Ils crevaient à coups de pistolet les anciens barils de rhum pour en boire le liquide doré.
Festoyaient de viande sauvage de manicou et dansaient avec des femmes aux yeux de feu, qui, jupes relevées, sautillaient sur la pointe des pieds le long des pavés de la rue Frederick ».
( Mais )« Dans le soleil couchant, les cieux en flammes, et le fin tracé de nuages oisifs, les érudits qui avaient lu les livres d’histoire se souvenaient. Pas celui qui s’acheminait du travail en passant par le square Woodford avec sa bouteille de rhum black Cat coincée sous le bras »
Le petit peuple, est écrasé par la misère intellectuelle, morale et sociale.
Roydon Salick met en avant les stratégies préconisées dans le processus de décolonisation. L’écrivain de la Caraïbe doit instruire le peuple, et assumer sa responsabilité en lui enseignant son histoire.
Pour cultiver la canne à sucre après l’abolition de l’esclavage, entre 1845 et 1917, un total de 143 939 indiens ont émigré vers Trinidad. On leur donna le nom de « Bound coolies». C’ est le gouverneur britannique Sir Ralph WOODFORD, qui introduit ce régime à Trinidad.
A la fin des années 1860, le célèbre écrivain et réformateur social, Charles Kingsley, visitait Trinidad et fut enthousiasmé par les nouveaux contrats de travail établis pour faire venir les travailleurs indiens ! Le servage différait de l’esclavage en ce sens qu’il était théoriquement volontaire , et que les familles pouvaient vivre ensemble. En fait, le travail forcé a duré jusqu’à son abrogation en 1917, et en 1890, le droit à un libre passage vers l’Inde va être retiré.
Le salaire pitoyable de ces travailleurs indiens ne leur permet pas d’espérer un retour en Inde. Puis dans les années 1930, la grande dépression balaie la Caraïbe, ruinant l’industrie sucrière déjà malade.
Les premiers à perdre leurs emplois et leurs maisons ont été les travailleurs indiens des plantations, dont beaucoup arrivent, démunis et désespérés dans la capitale, tournés en dérision.
« Regardez ces collines ! disait Kalé Khan, désignant les collines de Sainte-Anne et de Sainte-Claire d’où de belles demeures dominaient la ville
Qui habite là-bas ? Y-a-t-il une seule campagne là-bas qui appartienne à quelqu’un d’entre nous ? Non mon vieux, la seule fois où l’on s’y rend, c’est quand l’un d’entre nous est l’jardinier ou le boy.
Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? On est venus, liés par contrat pour cinq ans, pensant qu’on se ferait un peu d’argent avant de repartir. Le temps passait et rien ne changeait…
On aurait à répondre à 180 000 Indiens avec les ressentiments de cent ans de privations et d’insultes, prêts à exploser en un terrible cauchemar. Et voilà qu’arrivait le haut-commissaire de l’Inde aux Caraïbes, comme si quelque force mystérieuse l’avait voulu, le premier soir du Hussay ».
Les stratégies structurelles, stylistiques et narratives de l’auteur
Les présentatrices ont cru déceler une certaine lenteur, tout au moins au début du roman avec une accélération progressive. Il est vrai que l’oiseau zombie distille patiemment ses secrets.
Il semble avoir été confectionné comme un ouvrage d’art, une pièce de joaillerie finement ciselée. ( à l’image de Kalé Khan et de Rahim, tous deux orfèvres).
Une dualité narrative est instaurée tout au long du roman par l’emploi combiné d’une écriture sophistiquée, et de dialogues expressifs qui laissent libre cours au créole trinidadien. L’auteur exprime de cette façon non seulement la situation de diglossie à Trinidad (la diglossie étant la situation de bilinguisme d’un individu ou d’une communauté, dans laquelle une des deux langues a un statut sociopolitique inférieur), mais également la dichotomie de la société coloniale.
La mise en œuvre des procédés métaphoriques
Sur la première de couverture du livre traduit en français, au loin émerge un palais indien, tandis qu’au premier plan, un jacquier, arbre voisin du fruit-à-pain, fait écho à notre imaginaire créole.
Changement de décor pour l’iconographie choisie pour la version anglaise, l’oiseau-zombie ( pygmée-hibou ferrugineux), semble fixer le lecteur. Il fait partie des oiseaux communs des jardins trinidadiens. Il est familier du folklore local, et quoique parfaitement inoffensif, son cri était considéré comme un présage de mort.
Les perspectives métaphoriques et allégoriques sont ainsi mises d’emblée en évidence par les deux illustrations.
Dans la première, la terre trinidadienne, c’est-à-dire le milieu physique dans lequel évoluent les personnages du roman offre ses fruits, ses couleurs, ses senteurs. Elle est aussi celle par laquelle s’organise la permanence du monde (climats, cycles des saisons)
« Les pluies étaient venues et reparties, la saison des mangues était terminée. Les noyaux avaient pris racine, et de tendres tiges se dressaient à l’ombre de la plante-mère ».
La vision fantastique du palais hindou n’en est que plus troublante.
La deuxième illustration est elle aussi, riche de sens.
L’oiseau-zombie à travers les siècles, n’a -t-il pas émis son cri farouche lors de l’extermination des premiers habitants amérindiens de l’île, de la tragédie esclavagiste, de l’exploitation éhontée des engagés indiens ? Il semble annoncer bien d’autres malheurs, sur cette île de la Caraïbe, dans ces années troubles.
« L’oiseau zombie appelait du calebassier, et de son twi-twi-twi noircissait la nuit.Elle était pleine d’imprécations et de malédictions… lancées à l’oiseau-invisible et à son message de mort autour de l’hôtel de ville, pénétrant dans les lits des plus jeunes, et entre les draps des amants reposant enlacés, rodant autour de l’hôtel de ville ».
La récurrence systémique du cri de l’oiseau zombie suggère une vision cinématographique. Le film à intervalles réguliers serait parcouru de cette trame sonore utilisée pour plonger le spectateur dans une ambiance oppressante permanente , en dépit de séquences moins anxiogènes, et de la logique inhérente au déroulement de l’action.
Mais l’oiseau noir paradoxalement est aussi le guide et messager des dieux. En Afrique noire, le corbeau prévient les hommes des dangers qui les menacent. De même, Hugi et Munni ( Pensée et Souvenir ) dans la mythologie scandinave, parcourent le monde et reviennent informer ODIN de tous les événements qui se produisent sur terre.
« Conradictory omens : Repatriation and resistance », -présages contradictoires, rapatriement et résistance- est d’ailleurs le titre de l’étude consacrée à Ismith Khan dans l’ouvrage « Beyond Windrush » auquel nous ferons référence.
L’usage de procédés métaphoriques et de constructions originales représente une constante chez Ismith Khan. L’oiseau zombie a été suivi par The Obeah Man ( 1964 ), qui se déroule pendant le carnaval sur une seule journée ( unité de temps ) et où la symbolique du masque combinée à ce culte ancestral originaire des pays d’Afrique Noire est patente.
Grâce au héros Zampi, nous découvrons la réalité sombre de Trinidad que les carnavaliers dissimulent sous l’anonymat des costumes, et les postures licencieuses et débridées.
Dans The crucifixion ( 1987 ) fable où le personnage Manko , est persuadé d’avoir une mission divine à remplir, deux voix, l’une en anglais, l’autre en créole trinidadien s’entremêlent.
De l’Hindoustan fantasmagorique à la Trinidad balbutiante
En employant de manière incantatoire le terme Hindoustan, pour désigner l’ancestral pays d’origine-, au lieu et place d’une Inde revendiquée mais déjà soumise à des tensions extrêmes- avant la déflagration annoncée de longue date, le parallèle est établi entre le pays utopique et inaccessible, et la Caraïbe nouvellement formée en gestation.
La structure novatrice et révolutionnaire de l’oiseau zombie a d’autre part été administrée avec éclat par l’ouvrage Beyond Windrush ( au-delà de Windrush) avec comme sous-titre « Rethinking postwar anglophone Caribbean Literature », – repenser la littérature anglophone de l’après-guerre, sous la direction de J. Dillon Brown et Leah Read Rosenberg.
Les chercheurs veulent explorer l’univers littéraire caraïbe, avec des clés nouvelles.
(Le terme Windrush a pour origine le navire « Empire Windrush » qui établit la première traversée entre les Antilles et l’Angleterre – il était en provenance d’Australie, et a fait escale en Jamaïque et à Trinidad , débarquant 492 immigrants antillais le 22 juin 1948, et inaugurant ainsi toute l’histoire culturelle anglophone des Caraïbes).
Ils indiquent en effet que depuis la mise en place d’études littéraires des Caraïbes, certains érudits ont porté aux nues une cohorte d’élite de romanciers émigrés, pendant l’après-guerre, basés à Londres le plus souvent. Ce groupe est le plus souvent réduit à la troïka canonique, de Naipaul, George Lamming et Sam SELVON, comme pères fondateurs.
Kahn a donc été éclipsé par les deux natifs de Trinidad, V.S NAIPAUL et Samuel SELVON.
Or l’hybridation culturelle explorée par L’oiseau zombie et reposant sur les nouveaux processus de production et de circulation des identités, avec les thématiques de l’intégration de la minorité musulmane pathane, de l’indianité, du travail forcé, et la juxtaposition du langage afro-caribéen, de la mythologie également afro-caribéenne, est profondément moderne.
Les participants du club qui avaient émis l’hypothèse du « tout-monde » de Glissant ont vu juste, puisque les chercheurs américains font explicitement référence aux poétiques de contradiction pan-caribéennes d’ Edouard Glissant et d’ Edward ( Kennan ) Bratwaite.
Contrairement à la thématique commune dans de nombreux livres de l’époque, qui se concentrent sur l’idée-force et la fierté d’ une appartenance ethnique, (africaine ,indienne ), cet ouvrage fait ressortir l’idée du potentiel de croissance positive dans le mélange de toutes les races et des points forts des communautés. Cet idéalisme était rare quand ce livre a été écrit il y a 55 ans.
Pourtant la présence exclusive d’indo-trinidadiens semble brouiller les cartes. Les participants ont fait ressortir l’absence de tout afro-trinidadien ( voir étude des personnages ), dans le roman. Ont été évoqués les non-dits toujours en cours à l’île de Trinidad sur les rapports entre groupes ethniques.
Les données suivantes nous permettent de mieux appréhender la pensée de l’auteur.
Malgré la diversité des oeuvres littéraires, et les complexités et contradictions inhérentes aux écrits anticolonialistes postérieurs à la deuxième guerre mondiale, la vision afro-centriste était prédominante. Pour la génération Windrush, la naissance d’une nouvelle entreprise littéraire a rendu possible la réinvention de l’identité antillaise.
Cependant la littérature, les théories et cultures populaires de l’époque, les constructions de l’identité créole ( comme pour la langue maternelle ), faisaient allusion aux stratégies d’appartenance à l’Afrique et positionnaient les formes indianisées à la périphérie ou à l’extérieur de la construction de l’être antillais.
Il s’agit pour Ismith Khan de rectifier cette approche à sens unique et d’opérer cette recomposition à travers le prisme des indo-caribéens.
On notera qu’il s’agit d’une démarche tout à fait opposée à celle par exemple de NAIPAUL, puisque si celui-ci établit ses fictions dans ses premiers romans à partir de portraits d’indiens de Trinidad, la construction d’une identité transculturelle n’a jamais été perceptible chez le prix Nobel.
En outre, L’oiseau zombie, semi-autobiographique, est d’une grande honnêteté. Jamini, l’enfant et personnage principal du roman, ne pouvait être représenté en compagnie d’enfants noirs, puisqu’en effet l’écrivain a dû passer son enfance et adolescence, sans camarades afro-trinidadiens.
Le témoignage de Neil Bissoondath, autre grand écrivain d’origine trinidadienne, et neveu de Naipaul, est édifiant.Il a grandi dans le quartier Sangre Grande, à Port-of-Spain.
Il indique que les Bissoondath et les Naipaul cultivaient l’esprit de caste.
« Ma famille n’acceptait pas les Noirs à la maison, beaucoup de mes cousins ne recevaient pas les musulmans ».
L’utilisation par Ismith Khan de procédés métaphoriques pour inclure les composantes diverses de la société trinidadienne est habile. Toutefois un roman est avant tout composé de personnages.
Ismith Khan devait en être conscient, et a par exemple, dressé le portrait de Tiney Boney, fraîchement débarqué à Port-of-Spain, contraint de choisir entre ses nouveaux amis créoles et les recommandations strictes de son père, dans « A day in the country and other stories ), dernier ouvrage de l’auteur publié en 1994.
Mais revenons sur les personnages de notre roman qui nous intéressent au premier chef, dans le cadre de cette rubrique littéraire.
Scrutés par l’oiseau-zombie, ces derniers se déploient dans le quartier Woodford.
Les personnages
Kalé Khan
Kalé Khan, le grand-père, rêve d’un retour en Inde, mouvement politique qui se développe avec les difficultés des années 1930. Il est un héros des émeutes HOSAY – cérémonie musulmane avec des tambours et des combats de bâton- de 1884, quand les autorités coloniales ont essayé de limiter la célébration d’une des principales fêtes religieuses musulmanes.
Il est venu à Trinidad, non comme un ouvrier de plantation engagé à long terme, mais comme un artisan bijoutier libre et indépendant. Il est fier de son ascendance (il est issu de l’ethnie pathan, tribu farouche des montagnes), et de son statut social.
« Personne n’osait remettre en question Kalé Khan. Il détestait les lits, il détestait les femmes, il détestait les mains des femmes touchant ses vêtements, sa nourriture. Il détestait l’Inde qu’il avait fuie, il détestait Trinidad où il était venu chercher une nouvelle vie ».
Il est le défenseur inflexible des coutumes ancestrales et des manières de vivre indiennes. Il apparaît comme le véritable leader communautaire à la différence du représentant le plus important de la communauté indienne.
« Les paysans éprouvaient de la gêne à son égard. On ne le rencontrait qu’en de rares occasions, la commémoration de la naissance de Tagore ou de Gandhi. Il se rendait à la campagne afin de leur donner quelques dollars pour qu’ils viennent parader au Inda Club ».
Il vilipende les rendez-vous des indiens aisés dans les cercles à la mode.
« C’était le rendez-vous de quelques nerveux : des gens à la peau brune nullement assortie à leur accent, leur accoutrement et leur goût pour le whisky-soda.
Ils auraient été également ridicules en costume indien, ou seraient morts de faim à un mariage où l’arôme des grands chaudrons s’engouffrait dans les narines et où il n’y avait pas de couvercles en argent pour prendre la nourriture servie sur les feuilles de bananes ».
Il ne cesse de rabrouer son fils, Rahim, sur son défaitisme et son acceptation de sa vie à Trinidad.
Le regard paternel posé sur lui est celui de la disqualification : « Si tu avais grandi dans un grand grand pays au lieu de ce petit bout de terre pisseux »
Le Docteur GOPAL, camarade de Rahim de retour au pays après être devenu médecin, qui représente l’Indien ayant réussi en Angleterre, ne trouve pas plus grâce à ses yeux. Tout en lui déplaît à l’inflexible Khan : ses habits, sa condescendance, et même le choix de l’épouse.
« Assieds-toi et baisse la queue
T’en es allé te marier à une madame Sahib de là-bas quelconque pour l’emmener dans la maison de ton père ?
Que viens tu me raconter enfant de garce »
Il n’est pas étonnant qu’il veuille soustraire son petit-fils à l’influence féminine.
« Il pensait qu’un Pathan ne devait pas avoir une femme sur les talons tout le temps, autrement tu grandis comme femme »
BINTI
Binti, s’est enfuie de l’Inde, avec Kalé Khan, (comment aurait-elle pu résister au fringant jeune pathan des régiments de sa majesté ?).
Relisons GHANI KHAN le plus grand poète pachtoune. Dans « The Pathans » , écrit en 1947, il dresse d’eux ce portrait. « Il a les cheveux longs, soigneusement huilés et peignés, enveloppés dans un foulard de soie rouge qu’il enroule autour de sa tête comme la couronne de César.
Il porte une fleur dans les cheveux et du khôl sur les yeux. Ses lèvres sont teintes de rouge avec de l’écorce de noyer. Il tient son sitar à la main, et sa carabine à l’épaule.
Vous penserez qu’il est très efféminé jusqu’à ce que vous ayiez regardé ses yeux. Son regard et clair, viril, audacieux. ( Il ) ne se dérobe jamais au combat, et rit et chante lorsqu’il a peur. Il mourra bientôt au combat, cet homme brave, fort et beau, qui ne sait que rire, aimer, se battre et rien d’autre ».
Mais la réalité s’est révélée terrible. Kalé Khan a donné leur fille, sur le quai d’une gare. Coutume d’un autre âge, serions-nous tentés de dire. Et pourtant, en 2013, le journaliste Faisal Amin rapportait ces terribles paroles d’un chef tribal SirkaI Khan : « Nous ne considérons pas les filles comme nos enfants, parce qu’elles sont la propriété de leur mari »
A Trinidad, elle s’est retrouvée emmurée ( au sens propre, comme au sens figuré ), en vertu des codes d ‘honneur rapportés par Kalé Khan dans cette île du bout du monde, puis rejetée par lui.
Car ces mêmes codes s’opposent également à ce qu’une femme sorte seule. Elle s’expose à de graves punitions physiques. Et s’il y a le moindre doute sur sa fidélité envers son mari, elle peut être condamnée à mort. Ses bourreaux, eux, seront traités en véritables héros.
Ghani Khan, encore lui, a résumé ce paradoxe pachtoune par les mots suivants :
« Un pachtoune tuera l’amant de sa fille mais chantera les louanges de l’amour.
Il aime se battre mais déteste être soldat.
Il adore la musique mais méprise le musicien.
C’est un voisin qui peut devenir un précieux ami aussi bien qu’un ennemi mortel. »
Elle est dotée d’une force intérieure stupéfiante, « femme potomitan » pour reprendre l’expression de nos deux présentatrices. Elle ne se plaint pas. Elle a même réussi à monter un petit commerce de vente de charbon et de légumes.Quand elle se remémore sa terrible existence, « Elle pleure sans une larme, sans un soupir, sans que sa poitrine ne palpite.Son temps était un temps pour les pleurs, pas un temps pour les larmes ».
ROYDON SALICK soutient que ces deux personnages reflètent la stérilité des postures du passé, inflexibilité du Khan patriarcal et matriarcat nourricier de Binti, avec la nécessité d’un dépassement de ces dernières, en particulier dans les périodes post-coloniales.
On note toutefois que le courage tranquille de Binti lui a permis de se reconstruire, tandis que Kalé Khan n’ a pu surmonter la tragédie du déplacement forcé.
Rahim
Rahim est l’immigré de la deuxième génération, acculturé, dont la position est affaiblie par les craintes de faillite et de pauvreté. Le doute destructeur sur sa propre valeur est installé.
« Peut-être verrait-il le seul chemin, celui ouvert par son père, qui était de soulever les Indiens de Trinidad, et de partir pour l’Inde ».
« Ils n’auraient jamais du venir à Trinidad. C’était une terre cruelle, cruelle à la manière d’une amante. Elle ne vous achevait pas d’un seul coup, elle ne restait pas à garder la blessure, elle vous rongeait les entrailles, répandant un venin qui pénétrait jusqu’à la moelle. Elle s’était installée dans le sang de Rahim et avait endormi ce qu’il y avait de pathan en lui ».
« Bâp, où qu’on va aller ? On est nés ici on a vécu ici, qu’est-ce qu’on va faire en Hindoustan ? Nous avons vécu à Trinidad tou’ notre vie ; même dans le CORAN ? Il est dit qu’une personne doit aider à bâtir l’endroit qui lui donne son pain ».
Ses relations avec son fils se délitent également.
« Rahim lui prit l’oreille, et la tira fort pour pouvoir regarder le gamin dans les yeux.
Il y avait de la haine.Il ne bronchait pas, soutenant le regard de Rahim. Il haissait Rahim. Il se haissait pour cela.
Rahim fit quelque chose d’étrange. Il relâcha le gamin, s’empara d’un marteau sur le sol et le plaça dans la main du garçon en criant : Tu m’détestes, hein, tu m’détestes. Voilà prends le marteau, tu veux me tuer, c’est bien ça ?
Meena
Il a épousé Meena alors qu’elle est issue d’une caste inférieure.
Elle représente l’abolition des castes.
(Selon les études du UWI ( University of West Indies ), 38 % des Indiens à Trinidad venaient de castes agricoles, 31 % de castes basses et des ouvriers, 13 % de la caste brahmane. Mais nombreuses sont les histoires d’individus changeant de caste à leur arrivée à Trinidad.
Les immigrants à part quelques uns sont réduits au même statut social. Le processus de désintégration et de dilution de la caste commence même dans les dépôts de l’Inde).
Rahim aime Meena, et Ismith Khan trouve des mots sublimes, pour exprimer cet amour.
« Rahim prit son visage dans ses mains et plongea ses yeux dans les siens comme pour contempler, une fine pièce de joaillerie en filigrane qu’il venait de fabriquer, il vit les iris s’ouvrir et se refermer comme d’étranges fleurs noires aquatiques qui suppliaient d’être admises à la surface, à l’air et au soleil ».
Méprisée par son beau-père, elle lui demande de s’opposer à son père en ce qui concerne l’éducation de leur enfant, Jamini. Mais Rahim est tenu par le respect filial. Humiliée, Meena part de la maison.
« Rahim se dit qu’il y avait quelque chose qui l’engloutissait lentement. Il se demanda si l’amour, l’amour tel que lui et Meena l’avaient connu n’était lui aussi mort »
Jamini
Jeux avec les camarades du quartier, amours enfantines, scolarité dans l’école privée, interrogations métaphysiques, premières expériences sexuelles, Jamini , enfant au début du roman, nous conduit au travers de ses pérégrinations dans le quartier dont le centre névralgique est le square Woodford.
« Ca voulait dire que lui et Lakshmi pourraient s’asseoir dans les dernières rangées sombres de l’empire, là où il avait touché ses seins pour la première fois.
Ils étaient petits. Au toucher, il les avaient trouvés semblables aux oranges sauvages qui poussaient entre les cacaotiers, alors que ses doigts tendus exploraient instinctivement sa poitrine chaude pour venir se reposer dans la petite vallée entre ses seins ».
Il aurait pu être n’importe quel enfant ou jeune de Trinidad. Mais la situation chaotique familiale le conduira à une profonde dépression.
Jamini se demande « quand la folie le ferait trébucher pour l’avaler dans ce tourbillon qui l’engloutissait en même temps qu’un rayon jaune aux rayons pointus comme des aiguilles.Faisant danser maisons et rues… coupant les rues en deux images ».
Après un gros passage vide où il a tout abandonné, il refait surface. Il a donc une période d’adolescence à la dérive, mais il saisit l’occasion quand elle se présente pour poursuivre ses études. Il représente l’indien devenu antillais, (il est le seul personnage né à Trinidad) qui est concerné par l’avenir de son île, mais qui s’inspire également de la richesse culturelle de ses ancêtres.
Le quartier de Woodford
L’église de la Trinité, le palais de justice, le square Woodford, constituent beaucoup plus qu’un centre historique.
Pointe-à-Pitre des années 1950-1960 ressemble étrangement à l’univers urbain décrit. L’architecture coloniale nous fait replonger dans un décor familier, à un détail près. ( « Les sentiers du square figuraient les lignes du drapeau britannique, l’Union Jack, au centre duquel était dressée la statue d’un vieil homme tout courbé, Sir Ralph Woodford, debout dans un large bassin d’eau, lui arrivant aux genoux »).
Son visage et sa tête sont maculés de fientes d’oiseaux fatigués (irrévérence malicieuse de l’auteur). C’est un personnage réel avec lequel le petit garçon a des échanges : « Il sut que la statue s’était mise de la partie pour jouer avec lui, et que Sir Woodford riait doucement, se retenant pour ne pas éclater ».
Les laissés-pour-compte indiens
Les vieillards indiens tiennent leurs conciliabules sous la statue ( Joan a évoqué le Sénat, terme employé pour désigner les débats interminables qui avaient lieu sur les bancs de la Place de la Victoire, à Pointe-à-Pitre, à la même période). Le bassin leur permet de se laver, et de rester dignes.
SDF pour la plupart, ils se raccrochent à leur chef charismatique, Kalé Khan.
« L’île n’a pas d’argent pour construire un abri pour ces gens-là ( les miséreux), le travail sur les plantations est terminé, l’esclavage est terminé et maintenant ils nous disent qu’ils nous donnent la liberté- liberté de porter des fardeaux au square Woodford ?Liberté de s’asseoir la-bas sur une vieille caisse en savon et à s’épouiller mutuellement ? Les gars, ils sont morts ; Morts, morts, morts, ils n’ont plus femmes et enfants, il sont comme les arbres-pire que le calebassier-lui au moins il rapporte des centaines et des centaines de graines, qui continueront à pousser quand lui-même sera mort et desséché.. Mais les gars, à quoi c’aura servi, leur vie ? Ils sont des animaux, ils sont des pierres ».
L’épopée présente dans le roman
On considère en général que l’histoire du roman est traversée par le conflit d’un romanesque immémorial, enracinant le genre dans les archétypes fondamentaux ( passion, héroïsme ), avec une aspiration à plus de vraisemblance, et un ancrage historique et social.
La figure emblématique du roman est sans conteste Kalé KHAN. Les Pathans vivaient dans le territoire maintenant partagé entre le Pakistan et l’Afghanistan. Certains les désignent à tort actuellement comme « les talibans », même si une partie de ces derniers provient effectivement de ces villages des montagnes. L’origine de ce peuple n’est pas claire.
Nous avons du mal à imaginer l’aura qui entourait ce peuple, à l’histoire très ancienne et mouvementée, sous les empires moghol, perse ou d’autres. La fierté occupe une place primordiale de « ce peuple guerrier » qualifié par l’écrivain Joseph KESSEL de peuple invincible.
Les Pachtounes clament à juste titre qu’ils n’ont jamais été soumis à aucun envahisseur. L’empire britannique et de nos jours l’Armée rouge soviétique et plus récemment encore la coalition occidentale récente se sont heurtés à ces adversaires inflexibles.
Le parades Hosay participent de cet environnement mythique et sont minutieusement décrites.
Kalé Khan se sent naturellement désigné pour organiser la résistance et le rapatriement à grande échelle des Indiens de Trinidad. Il va tenter d’utiliser la visite du Haut commissaire.
Ce dernier rejette catégoriquement cette idée, comme anachronique.
La rupture dans le roman se produit lorsque Kalé Khan se jette dans un dernier combat de bâton où il sera défait. C’est sa mort symbolique et inévitable. L’épopée est morte. Le roman n’a plus de héros, ou « d’icône tragique ». Mais la fin de Histoire n’est pas la fin de l’Histoire des Héros.
UN ROMAN UNIVERSEL
La thèse soutenue par Thomas PAVEL, dans « La Pensée du roman », est que le sens et la valeur d’un roman ne peuvent être ramenés aux procédés et techniques littéraires. Il refuse de considérer l’univers fictif uniquement sous l’aspect d’un agencement d’éléments au sein d’une structure, qu’on désigne sous le terme savant de muthos aristotélicien, autrement dit « la mise en intrigue ».
Pour que l’oeuvre prenne son sens véritable, elle doit être rapportée à une proposition fondamentale portant sur l’homme.
Le savoir paradoxal produit par le roman inclurait un savoir en forme de questionnement, de « formulations dilemmatiques », de « confrontations dialogiques ». Le roman est le genre par excellence qui conçoit l’univers en tant qu’unité transcendant la multiplicité de communautés humaines particulières.
En tant qu’enfant de la migration, comment puis-je me départir sur deux cultures ? Que doit-on faire face à une nouvelle culture ?
Ces interrogations ont donné lieu à des échanges passionnés.
Selon Joan, « i l faut lâcher certaines valeurs pour nous inscrire dans le temps ».
« Oui, a répliqué Johanne, mais tout ça ne se fait pas comme ça. Comment garder ce qui est important ».
Les interrogations existentielles des personnages du roman, ont souligné nos deux intervenantes, rejoignent les trois questions fondamentales que se pose l’homme :
– D’où venons-nous ?
– Pourquoi vivons-nous ?
– Où allons-nous ?
En ce sens, nous partageons avec les personnages du roman des moments d’universalité.
La vie est un drame philosophique. Que nous est-il permis d’espérer ? Que transmettrons-nous à nos enfants ? Comment vivre ensemble ? Dès notre naissance, nos parents nous indiquent la voie à suivre. Si l’homme ne se questionne pas lui-même, il restera prisonnier d’une certaine vision du monde imposée.
Une quête identitaire
Les participants au débat ont mis en exergue le fait que tous ces écrivains, en particulier indo-trinidadiens reconstruisent à l’infini des situations romanesques, prenant racine dans l’île, alors qu’ils s’en sont éloignés. Sont-ce des faux-fuyants ?
En fait, l’identité narrative apparaît comme un enjeu autant pour les individus que pour les groupes qui reconstruisent leur identité au travers de grands récits.
Les mots aussi impalpables que l’être même, sont par définition, des projections psychanaytiques et linguistiques.
Dans « Résilience du malaise identitaire par l’identité fictive en littérature » J. LARUE-TONDEUR souligne qu’au-delà du plaisir esthétique que procure la représentation de soi dans la symbolisation de l’art, l’écrivain, tout comme les stars , peut éprouver un besoin maladif de reconnaissance. L’élaboration d’une identité fictive en littérature tend à y remédier, car l’auteur essaie de s’affirmer en séduisant et en jouant de son problème douloureux qu’il exploite dans une mise en forme esthétique.
Paul RICOEUR évoque lui aussi « l’identité narrative ».
Le déracinement de l’individu est sans doute l’une des causes principales de la « quête identitaire ».
Nous ressentons tous le besoin de donner une certaine unité à notre existence.
Cette unité prend la forme d’un récit que l’on peut composer soi-même. C’est aussi un lieu fictif où peuvent s’exprimer avec acuité les malaises identitaires qui ne s’avouent pas ailleurs.
Si l’on prend le cas de Naipaul, James WOOD dans un article du NEW YORKER, nous livrait ce constat . Naipaul méprise le pays d’où il vient. « Oui, je suis né là. J’ai pensé que c’était une erreur ».
Dans son discours de réception du prix Nobel, en 2001, il déclarait : « C’est un grand hommage pour l’Angleterre, mon pays, et pour l’Inde, le pays de mes ancêtres ». Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas cité Trinidad, il a répondu qu’il craignait « d’encombrer l’hommage » !
James WOOD ajoute que dans ses livres, Naipaul a parlé de la « barbarie et du primitivisme » des sociétés africaines, et évoqué jusqu’à l’obsession , dans ses récits sur l’Inde, l’usage de faire ses besoins en public : « ils défèquent dans les collines, ils défèquent au bord des rivières, ils défèquent dans les rues ». Les participants du club ont en effet indiqué que Naipaul comparait l’Inde à un cloaque.
Trinidad de nos jours, et le multiculturalisme en question ?
Il y a quelques années, le professeur Selwyn R. Cudjoe , le 9 février 2011, poussait « un coup de gueule » sur les limites du multiculturalisme à Trinidad et Tobago. Le ministre des arts avait reconnu qu’une partie de l’ensemble des citoyens pouvait se sentir exclue, et prônait la reconnaissance et la célébration de la diversité culturelle.
Selwyn R. Cudjoe notait qu’il avait relevé dans le discours du ministre que le mot diversité avait été prononcé neuf fois, et celui d’identité nationale une fois. Il se gaussait du recensement effectué pour « la répartition équitable des ressources de l’Etat », tenant compte de la répartition suivante.
1- africains
2- caucasiens
3- chinois
4- Indiens d’Asie
5- autochtones
6- mixte : Afrique et des Indes orientales et autres
7- syriens-libanais
8- autres groupes ethniques
9- autres
Quels seraient les critères retenus pour juger par exemple que les personnes recensées feraient partie du groupe mixte, demandait-il avec ironie ?
Selwyn R. Cudjoe Cudjoe fait explicitement référence au Dr Williams, père de l’indépendance de Trinidad, qui précisait à la veille de la proclamation de l’indépendance , dans « History of the People ofTrinidad and Tobago » qu’il ne pouvait y avoir d’Afrique mère pour les originaires d’Afrique, et rappelait les propos du commissaire de l’Inde contenues dans l’oiseau zombie d’ Ismith Khan, lequel conseillait aux Indiens « de rester à Trinidad et de devenir de bons citoyens de Trinidad ».
Il concluait en disant que le Dr Williams n’avait jamais conçu Trinidad et Tobago comme africaine ou indienne.
Si des tensions devaient se faire jour entre afro et indo-trinidadiens , THE JUMBIE BIRD pourrait bien être qualifié de livre fondateur, pour les deux plus importantes communautés de l’île, d’importance égale, rappelons-le.
LA COMMUNAUTE INDIENNE EN GUADELOUPE ETAIT PRESENTE
Différents membres de la communauté indienne en Guadeloupe ont apporté des réponses précises sur le système des castes en Guadeloupe, dans le cadre du débat qui a suivi l’exposé.
Fred Negrit, président du Conseil guadeloupéen pour la promotion des langues indiennes et les représentants des associations indiennes ont noté des similitudes entre Trinidad et les Antilles françaises. Le système de castes a également implosé, et n’a jamais pu s’établir. A titre anecdotique, ont-ils déclaré avec humour, 90 % des indiens guadeloupéens déclarent être brahmanes (caste supérieure) !
TRINIDAD EST VENUE A NOUS
Pat (Patricia RAMOUTAR), trinidadienne de passage en Guadeloupe, leader d’une chorale gospel, nous a interprété « The jumbie bird » composée pour notre soirée littéraire. Le 30 mai, on commémore l’arrivée des premiers travailleurs indiens sous contrat à Trinidad, en mai 1845 sur le Fatel Razack (226 indiens).
Daniel C.
No Comment