L’histoire « officielle » des Antilles exalte l’œuvre métropolitaine
Des extraits d’une interview de Jacques Dumont, Professeur d’histoire contemporaine à l’université des Antilles et de la Guyane par David Peyrat publiée dans GEO le 20 mars.
Les Français, métropolitains comme antillais, ne connaissent pas l’histoire de ces territoires… L’histoire «officielle» des Antilles exalte l’œuvre métropolitaine, avec une chronologie qui insiste sur la générosité de l’abolition de l’esclavage en France en 1848 et célèbre la départementalisation des territoires en 1946. C’est un leurre…
La départementalisation en 1946 paraissait la seule voie possible. Les Antillais désiraient une «assimilation». Mais le terme n’avait pas la même signification des deux côtés de l’Atlantique. Pour Paris, il s’agissait d’un alignement sur la vie métropolitaine. Pour les Antilles, plutôt un raccordement juridique et une véritable égalité. Il y a eu incompréhension, donc désillusion.
L’accès au statut de département, voté le 19 mars 1946, a vite marqué ce malentendu avec des mesures discriminatoires, comme les différences de prestations familiales ou de salaires par rapport à la métropole…
Du côté de la métropole, on se gargarisait avec des comptes rendus administratifs alignant chiffres et résultats encourageants sur la modernisation des DOM. Sauf que ces rapports ne prenaient pas en compte la réalité de ces départements lointains. De 1944 à 1970, on double le réseau routier en France métropolitaine comme en Guadeloupe. Mais l’absence initiale de routes sur l’île exigeait bien plus. Autre exemple : dans des rapports sur l’alcoolisme, la consommation de rhum aux Antilles était mise au même niveau que celle du vin en métropole… sans tenir compte des degrés d’alcool !
Dans les années 1960,… des mouvements indépendantistes, nourris par la poussée d’une génération post-départementalisation, ont essayé de s’engouffrer dans la brèche mais leurs idées politiques – jugées trop radicales – ont effrayé la population. De plus, ils ont été frappés de plein fouet par la disparition de deux autonomistes convaincus, Albert Béville, 47 ans, écrivain et militant indépendantiste, et Justin Catayée, 46 ans, député de la Guyane, dans le crash, en 1962, d’un Boeing d’Air France en Guadeloupe.
… Les Antilles étaient plus que jamais en marge des préoccupations de l’Hexagone, laquelle s’autorisait une répression qu’elle n’aurait jamais menée en métropole. En 1952, la gendarmerie a tiré sur des ouvriers grévistes en Guadeloupe : quatre morts. Idem en Martinique, en 1959 : trois hommes abattus. En 1974, une grève des travailleurs de la banane est stoppée net par des tirs provenant d’un hélicoptère de la gendarmerie. Mais la manifestation la plus meurtrière fut celle de Pointe-à-Pitre, en mai 1967, où on ne peut connaître le nombre de victimes – entre 8 et 87 selon les versions. Pourquoi une telle violence ? Une conséquence du «problème algérien». Le préfet de Guadeloupe de l’époque, Pierre Bolotte, ancien haut fonctionnaire en Algérie, croyait avoir de nouveau affaire à un début d’insurrection armée. Sauf que le GONG, l’organisation indépendantiste locale de l’époque, n’était composé que… d’une soixantaine d’individus !
… Depuis la fin des grèves de 2009, la population n’a pas ressenti d’amélioration sur la question du pouvoir d’achat. On pourrait comparer la situation à celle des banlieues des grandes villes métropolitaines où la perception d’abandon et de promesses non tenues est tenace. L’Etat ne fait qu’appeler au calme, à la patience et à la raison sans vraiment fournir de solutions.
L’indépendance est-elle envisageable ? L’espoir réside peut-être moins dans les changements de statut que dans la définition d’un projet de société. Les départements d’outre-mer souffrent d’un manque flagrant de reconnaissance de la part de la métropole. Les éléments de fierté ne sont pas suffisamment mis en avant. Lors de la 1ère Guerre mondiale, un carburant antillais avait été élaboré à partir d’alcool de canne à sucre : la natiline, l’ancêtre du bio éthanol. L’aspect novateur de ce carburant n’avait pas été encouragé par les autorités car la modernité n’était envisagée que comme venant d’ailleurs. Certainement pas des Antilles qui ont toujours été considérées comme étant à la marge.
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