Le Memorial ACTe et la Guadeloupe vus par une journaliste newyorkaise
Maddy Crowell est une journaliste newyorkaise qui a vécu au Maroc, au Ghana, aux États-Unis, en Inde et au Cambodge. Elle a écrit pour Harper’s, Slate, le Christian Science Monitor, The Economist et le Wall Street Journal. En 2014, elle a reçu la bourse Irene Corbally Kuhn. Des extraits d’un article publié le 21 avril pour The Atlantic.
Bien avant de devenir le premier mémorial de l’esclavage des Antilles françaises, la sucrerie Darboussier située à Pointe-à-Pitre exportait des marchandises produites par des esclaves en France métropolitaine. Aujourd’hui, l’usine, transformée en Memorial ACTe est recouverte d’éclats de quartz noirs, représentant les âmes victimes de la traite négrière et de l’esclavage incarnant la devise officieuse du mémorial : « La mémoire inspire l’avenir ».
… Le projet de construction du Memorial ACTe débute lorsque Victorin Lurel, représentant de la Guadeloupe à l’Assemblée nationale française, annonce que l’île en a besoin pour que « les enfants de Guadeloupe puissent créer un nouvel humanisme basé sur la réconciliation et la fraternité ». La décision de l’ériger sur le site de l’ancienne usine était un geste symbolique de « renaissance », indique l’actuel sénateur.
Mais pour certains, l’idée même d’un mémorial de l’esclavage en Guadeloupe est étrange. Près des trois quarts des 405 000 personnes vivant sur l’île sont des descendants d’esclaves venus d’Afrique de l’Ouest, mais peu ont des liens avec leurs ancêtres. Lorsque l’esclavage a pris fin, les anciens esclaves ont été déclarés citoyens français – mais il n’existe aucun registre officiel de l’arrivée de leurs ancêtres dans l’île. C’était comme si l’histoire avait été effacée, plongeant la société guadeloupéenne dans une « amnésie culturelle », comme l’exprime Jacques Martial, l’actuel président du Mémorial ACTe. « Tout le monde voulait oublier le passé après 1848, et personne ne pouvait le faire. Les Guadeloupéens pensaient : « Assez, c’est assez. Nous ne pouvons pas aller de l’avant et oublier nos ancêtres. »
Pourtant, le Mémorial ACTe, qui accueille aujourd’hui près de 300 000 visiteurs par an – presque tous étrangers – a été source de controverse depuis son inauguration le 10 mai 2015. Ce jour-là, François Hollande, président de la France, visite le mémorial et déclare que « la France est capable de regarder son histoire parce que la France est un grand pays qui n’a peur de rien – surtout pas de lui-même. » Mais à l’extérieur, les protestataires se sont rassemblés en scandant : » La gwadloup sé tan nou, la gwadloup sé pa ta yo (La Guadeloupe est à nous, pas la leur ! ». La plupart d’entre eux considérent la présence d’un président français, en particulier pour l’inauguration d’un mémorial dédié à l’esclavage, comme un prolongement de l’héritage colonial français. D’autres ont réclamé non pas un mémorial, mais des réparations : la plupart des frais de ce mémorial payés à partir des recettes fiscales locales, selon la Commission européenne – un coût élevé dans une region où le salaire moyen est inférieur à 1.200 euros par mois. Pour beaucoup de Guadeloupéens, le mémorial offre à la France une échappatoire, une façon de se défaire de l’héritage sanglant d’une traite de 200 ans en occultant le passé, comme me l’a confié Elie Domota, le dirigeant du syndicat Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP).
Emmanuel Macron, l’actuel président, semble preferer esquiver le passé également. En novembre dernier, dans un discours lors d’un voyage au Burkina Faso, une autre ancienne colonie française, il a soutenu que l’histoire impériale de la France ne devait pas façonner les relations actuelles de son gouvernement avec ce pays. « L’Afrique est gravée dans l’histoire, la culture et l’identité françaises. Il y a eu des fautes et des crimes, il y a eu des moments heureux, mais notre responsabilité est de ne pas être pris au piège dans le passé ». Lors d’un voyage en décembre en Algérie, une autre ancienne colonie, Macron a rendu visite au président Abdelaziz Bouteflika et a exhorté la jeunesse du pays à « ne pas s’appesantir sur les crimes passés ». En mars, il a déclaré que le français devrait être la langue officielle « de la liberté »…
En 2009, les Guadeloupéens protestent contre les prix exorbitants… Les manifestations se transforment en une lutte de 45 jours contre l’exploitation coloniale. Dirigés par Domota…, 100 000 personnes descendent dans la rue, scandant le mot d’ordre du mouvement : «La Gwadloup sé tan nou» (On l’entendra à nouveau le jour de l’inauguration du Mémorial ACTe.) Le gouvernement Sarkozy envoit 500 gendarmes pour réprimer le mouvement, aggravant encore les protestations. Bilan : un mort. À la fin du mois de mars, M. Sarkozy convoque les dirigeants syndicaux de la Guadeloupe à Paris afin de négocier un plan de réforme en 120 points accordant aux travailleurs des salaires plus élevés, mais pas l’indépendance.
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