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Le marketing est en train de tuer le Notting Hill Carnival

Le carnaval de Notting Hill est avant tout une fête populaire dédiée à la culture caribéenne et à la lutte contre le racisme. Mais son évolution mercantile inquiète. Un article de Kuba Shand-Baptiste, rédactrice en chef du The Independent’s Voices. 

J’ai arrété de compter les fois où j’ai parcouru dégoulinante de sueur mais heureuse les rues bariolées de Notting Hill. Résidant à 10 minutes à pied de ma manifestation favorite, j’ai sauté, wahiné, scandé les tubes de Soca, apprécié la chaleur du rhum…

Mais aujourd’hui, après des années de commercialisation insidieuse et de changements qui, pour les non familiers du carnaval, semblent minimes, mais dénaturent cet événement de fin d’été, j’en ai plus qu’assez.

Pas de l’institution carnaval, bien sûr. En tant que Londonienne du nord-ouest d’origine caribéenne – Jamaïcaine et Antiguaise -, comme des milliers d’autres, je compte les jours précédant la fête. Non, ce dont j’ai assez, c’est de la perte de l’essence du carnaval primitif.

Commençons par les sound system, d’origine jamaïcaine, essentiels au carnaval depuis ses débuts. Beaucoup sont, heureusement, dirigés par des collectifs dans la lignée du vrai carnaval depuis des décennies, mais la popularité croissante d’autres genres qui jouaient des airs vraiment peu caribéens ce week-end, est préoccupante.

Soyons clair, les sound system n’ont pas joué exclusivement du Reggae ou de la Soca depuis les premiers carnavals. Et je ne pense pas qu’ils doivent tous le faire obligatoirement. Mais ce qui m’a échauffé le plus en déambulant dans les rues ce week-end n’est pas le soleil mais la pénurie de musique caribéenne à part les groupes de « mas » band.

Il y avait de la techno, encore de la techno, du trap, de l’afrobeat, de la house, du gospel… Aucune de ces musiques ne me deplait, mais elles ne m’ont pas non plus ravie en cette période précise.

J’ai vu des foules animées se lancer dans une danse électronique hypnotique, les bras en l’air, pour ce qui, à mon avis, ressemblait à du son « blanc ». Les gens s’en donnaient à coeur joie, rompant avec la tradition, ainsi qu’ils prennent plaisir à porter des guirlandes plastiques multicolores autour du cou à l’occasion du carnaval (même si je n’avais jamais compris pourquoi).

S’abreuvant de canettes à des prix prohibitifs, ces carnavaliers se sont livrés à de musiques qui ne pouvaient pas etre plus étrangères à ce qui les entourait, et ils en étaient ravis.

Le carnaval de Notting Hill, n’est pas l’équivalent d’O2 Wireless ou de Lovebox. Ce n’est pas un festival où chacun peut profiter de sa musique favorite ou danser dans une zone sécurisée muni d’un bracelet. C’est avant tout une fête de rue consacrée à la célébration de la culture caribéenne sous toutes ses formes, à la résistance au racisme et à la brutalité. Et c’est ce qu’il devrait continuer d’être.

Il existe de nombreuses histoires sur le carnaval de Notting Hill, toutes en rapport avec les cultures qui font de moi ce que je suis. Mais des événements tels que les émeutes de Notting Hill, ou l’histoire de Kelso Cochrane, immigré Antiguais assassiné lors d’un attentat raciste et les réactions qui en découlèrent constituent une réalité indéniable et la raison du carnaval.

Il est donc décourageant de voir Red Bull ou Bacardi – ou toute autre marque – disposer de leur propre scène, auparavant ouverte au public -, négliger l’esprit communautaire en multipliant les accès VIP excluant les anonymes.

Je ne défends pas de position puriste. Je ne soutiens pas plus un carnaval restant dans un cadre rigide.  Je confesse par le passé avoir profité des laissez-passer, de boissons gratuites, avoir dansé sur les scènes hip-hop. Mais lorsque des événements comme Panorama – la compétition de steel-pan la veille du carnaval – deviennent méconnaissables; quand il est difficile d’entendre de la Soca mais que fendre une foule de blancs avec des dreadlocks parait une évidence; quand, pour la deuxième année consécutive, on s’intéresse plus aux trois minutes de silence en l’honneur des victimes de la Grenfell Tower qu’aux événements tragiques iniateurs de ces festivités sur deux jours, il est clair que quelque chose doit changer.

Je n’irai pas près des sound system l’an prochain. Je préférerais défiler avec les « mas ». Mais tout le monde ne peut se permettre un tel coût et ne devrait pas non plus se sentir obligé de le faire.

Il est temps que les organisateurs du carnaval de Notting Hill fassent pression sur ceux qu’ils ont laissé faire, afin d’en retrouver l’idée originelle : la célébration de la culture des Caraïbes. Cela ne le fera pas revenir à celui de mon adolescence, mais ce serait un premier pas vers un retour aux sources.

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