Le Grand Port de la Réunion
Dès sa création au 1er janvier 2013, le grand port maritime de la Réunion a su s’inscrire dans une dynamique positive de développement, exploitant au mieux les atouts géographiques de la Réunion, au carrefour des routes maritimes de la zone, et tirant parti de la hausse du trafic en s’engageant dans une politique commerciale destinée à favoriser des activités de transbordement en plein essor.
Pour l’essentiel, les instances de gouvernance ont su jouer leur rôle dans le dialogue nécessaire pour mener cette politique et les différentes parties prenantes sont toujours parvenues, au fil des deux projets stratégiques qui se sont succédé (2014-2018 ; 2019-2023), à converger dans une vision commune de la stratégie à suivre.
En dépit de deux changements à la tête du directoire et à la tête du conseil de surveillance, qui auraient pu conduire à des écarts ou à des revirements stratégiques, le grand port a su conduire une politique de développement dynamique et efficace, combinant un effort d’investissement constant et soutenu, afin de valoriser et régénérer son outil, et une politique tarifaire équilibrée, attentive à respecter les intérêts économiques des différents acteurs et les nécessités de gestion.
Après une décennie d’exploitation, les bénéfices de cette politique sont indéniables. Le trafic est passé de 4Mt en 2013 à 5,2 Mt en 2023, dépassant même 6 Mt en 2021. Financièrement, le grand port a accumulé les résultats positifs, dépassant même les 6 M€ de résultat net à trois reprises. Les fonds propres se sont accrus, grâce aussi à la politique de l’État, qui a renoncé à percevoir des dividendes pendant la période. La valeur des actifs a progressé de 17,5 % et s’approche aujourd’hui des 400 M€. L’outil industriel a été considérablement régénéré, avec la mise en place de nouveaux portiques, la réfection de nombreuses installations et de quais, l’acquisition d’équipements neufs (grues, silos à glace, etc) permettant de faire face à la croissance et à l’évolution de l’activité.
À la différence d’autres équipements du même type, le grand port a remarquablement surmonté la crise sanitaire. Son rôle dans les relèves d’équipage des navires commerciaux de la zone pendant cette période lui a même fourni l’occasion d’accroître son rayonnement. Post-crise sanitaire, le port a enregistré un fort rebond de trafic.
Ce bilan positif, au terme de dix années, ne doit cependant pas occulter une baisse récente des résultats du port ni le maintien de certaines difficultés.
La première de ces difficultés, majeure, repose sur le devenir de la zone arrièreportuaire située à Port Est, dont la destination finale n’apparaît toujours pas intégralement décidée, malgré les efforts entrepris par l’État pour concilier les points de vue des acteurs locaux. La crise de saturation des terre-pleins intervenue en 2022 a démontré par l’absurde le besoin industriel majeur que représente cette zone dans le projet de développement du port. Malgré cette évidence, signalée dès la séance inaugurale du grand port en mars 2013, les progrès enregistrés en dix ans sont restés très limités, compte tenu des divergences d’appréciation des acteurs locaux, qui ont tardé à percevoir l’importance de ce projet pour le port. Les récents progrès enregistrés grâce au comité stratégique mis en place par le préfet doivent maintenant déboucher sur une solution pérenne et claire, qui offre enfin au grand port la visibilité dont il a besoin pour conduire sa stratégie. La signature du bail emphytéotique en avril 2024 ne constitue qu’une première étape.
Cette nécessité paraît d’autant plus grande que le port est désormais conduit à devoir faire évoluer sa stratégie à l’aune des nouveaux défis du moment. Les enjeux climatiques et environnementaux représentent ainsi des défis qui prennent une acuité nouvelle, ainsi que le récent épisode du cyclone Belal l’a montré. Les installations du port, fortement soumises aux contraintes naturelles, doivent désormais être préparées à des événements d’un niveau
jusqu’alors inédit. Par ailleurs, l’accompagnement de la transition énergétique a des impacts directs sur le trafic du port, avec la conversion des acteurs locaux à de nouvelles sources d’énergie qui soulèvent des questions d’organisation de flux et de logistique.
La seconde difficulté concerne la gestion des ressources humaines. Celle-ci se caractérise par plusieurs lacunes : effectifs marqués par une certaine ancienneté et un recrutement parfois endogame ; politique sociale assez avantageuse pour les personnels, conduisant à une progression de charges à surveiller ; recours excessif aux heures supplémentaires et aux contrats à durée déterminée, attestant de tensions réelles dans certains services. Toutes ces difficultés se reflètent dans les faiblesses du service en charge des ressources humaines, qui souffre d’un défaut de positionnement interne, d’armement en personnels et de reconnaissance au sein de l’établissement. La Cour recommande à cet égard un renforcement et un repositionnement du service, qui lui permettra d’intégrer l’ensemble des missions normalement dévolues aux ressources humaines, y compris certaines missions telles que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences aujourd’hui en déshérence.
A l’inverse, les problématiques de sûreté-sécurité, réelles au début de l’existence du grand port, ont été bien reprises en main par la capitainerie. La Cour constate cependant que l’évolution à très court terme des activités du port Ouest imposent une actualisation du plan de sûreté intégrant mieux les risques de ce secteur. Quelques mesures sont déjà en passe d’être mises en œuvre mais il convient d’intensifier les efforts en ce sens.
Dans le domaine environnemental, la Cour relève les initiatives prises par le grand port, mais considère qu’un effort accru est souhaitable. Pareillement, la Cour observe le niveau d’exécution satisfaisant des plans d’investissement mis en œuvre par le grand port, mais constate que des progrès doivent être accomplis en matière de procédures et de rationalisation dans le domaine des achats, afin de se mettre au niveau des standards requis par la réglementation.
La troisième difficulté concerne le positionnement stratégique du grand port, dans un contexte de forte concurrence au sein de la zone indo-Pacifique. Le port doit s’adapter et évoluer, afin de résoudre une équation dont la zone arrière portuaire n’est qu’un facteur et dans laquelle entre, pour une part décisive, la question de l’exiguïté du foncier disponible. Les capacités d’accueil du port en termes de taille de navires arrivent aujourd’hui à une limite, si la course au gigantisme dans laquelle les armateurs semblent s’engager devait se poursuivre. Afin de préserver sa place au sein de la concurrence qui se dessine, le grand port doit aujourd’hui continuer d’optimiser son outil, maintenir l’attractivité de ses services et inventer de nouvelles capacités de rayonnement.
Enfin, la Cour émet des interrogations sur le projet d’acquisition de dock flottant qui, après avoir pris forme en 2019, est en passe d’aboutir. Avec un coût qui a fortement augmenté, un retard certain par rapport au calendrier initial, des questions sur sa vétusté et des conditions d’exploitation qui restent à préciser, cet équipement, qui arrivera à Port-Réunion au début de l’année 2025 et qui devait permettre au port de se doter d’une capacité de réparation navale attractive au sein de la zone, soulève d’ores et déjà certaines questions. D’une part, le montant des investissements consentis pour l’acquisition du dock a conduit à une tension de trésorerie importante au cours de l’exercice 2023, en raison du retard dans le versement des subventions. A cet égard, la Cour engage le grand port et la tutelle à clarifier les conditions de recours à des lignes de trésorerie et insiste pour que les instances de gouvernance en soient informées de façon régulière et plus transparente.
D’autre part et surtout, la rentabilité de cet investissement est très incertaine. Il reste à consolider de façon plus exigeante les conditions de réception et d’exploitation du dock flottant, ainsi que son plan d’affaires, pour lequel des garanties en termes de carnet de commandes, de conditions d’exécution et de tarification des prestations devront être données. Dans les premières années de son existence, le grand port a eu à surmonter, avec le terminal céréalier, des difficultés analogues résultant de choix contestables, hérités de la période de la concession, en matière d’investissement. Le dock flottant, qui devait représenter un atout indéniable, ne saurait reproduire des difficultés de ce genre, sous peine de mettre en danger l’équilibre économique du port tout entier.
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