Société

Jocelyn Privat : une vie de drogué, un combat pour la dignité, un suicide social

Jocelyn Privat déclare mener une grève de la faim depuis décembre 2014. Devant notre scepticisme, il nous invite à le rencontrer faisant référence à un article paru sur France Antilles. C’est dans le quartier Montparnasse que nous rencontrons un homme au visage émacié, maigre, bien loin de l’aspect physique vu sur le quotidien.

Né en Martinique au Saint Esprit, âgé de 58 ans, ancien toxicomane, à partir d’un discours au verbe haut et parfois confus, nous discernons un combat pour sa prise en considération dans un monologue fleuve qu’il nous déverse comme pour se soulager. Il semble bien connu dans le quartier, plusieurs personnes s’arrêtant pour lui demander de ses nouvelles. En retour, il adresse un mot gentil à chacun, s’enquérant de la santé d’un père âgé, seul en province et incitant son interlocuteur à lui rendre visite.

Tout commence par un départ en Métropole en 1974 pour un stage dans les PTT où il se retrouve à décharger des sacs postaux en plein hiver. Les mois passent et le désenchantement persiste. Des conflits avec la hiérarchie, une forme de refus de la société et de l’ordre préétabli l’entrainent dans une plongée longue, sombre et infernale dans les délices empoisonnés des stupéfiants. Confiant avoir tout essayé comme drogues, il multiplie les délits jusqu’à l’irréparable : un homicide qui le condamne à une longue incarcération.

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Jocelyn Privat tel Don Quichotte à l’assaut de la logique sociale française

Au cours de sa peine, il se met progressivement au sport, plus particulièrement à la boxe où il se fait remarquer pour sa pugnacité. Esprit avide de connaissances, il se renseigne, demande de l’aide et amorce son auto désintoxication, période longue et douloureuse. Quittant son brouillard, enfin disponible, il reçoit une formation d’agent technique en maquettisme volume industriel. Libéré, il retourne au pays et décide de faire bénéficier aux toxicomanes martiniquais de son expérience. Fondateur de l’ « Association Jocelyn Privat », pour l’accueil des personnes aux ressources insuffisantes éprouvant des difficultés pour mener une vie normale, très fier il nous montre une dédicace d’Aimé Césaire pour son engagement social.

Des raisons personnelles le renvoient dans l’hexagone. Il travaille pour un cirque et est victime d’un tassement des lombaires. Reconnu handicapé par la COTOREP, il part ensuite en Guyane où il se lance dans des actions de prévention. Une autre association Oxyjeune 973, des incompréhensions, des maladresses avec les responsables sociaux le font revenir à la case départ.

Voilà pour son parcours semé d’embûches et de ruptures. Jocelyn réside actuellement au 14 bd de Vaugirard dans le 15ème  mais mène un bras de fer avec l’association AURORE qui a pour but la réinsertion sociale et professionnelle de personnes en situation d’exclusion ou de précarité et représente 20 190 personnes hébergées, 2 100 places d’hébergement à l’année (hors plan hivernal) et 1 260 logements.

Désireux de poursuivre son combat contre l’exclusion, il souhaite domicilier son association à son adresse actuelle, chose refusée par son bailleur ainsi que le prêt d’un local de réunion, ne détenant qu’un titre d’occupation et un contrat de résidence. Lui estime être locataire au regard des impôts et de la Poste, payant son assurance habitation. Il a déposé une main courante contre AURORE. Sa grève de la faim peut-elle lui faire obtenir gain de cause ? Son séjour en psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne ne plaide pas en sa faveur, une responsable d’AURORE s’est plainte de son comportement agressif vis à vis de ses enfants ce qu’il conteste fermement et il a été entendu au commissariat du quartier pour « délires associatifs ».

Dans son petit logement, entouré de livres, il consulte ses dossiers. Faisant référence à Line Legrand, il estime que les ultramarins sont très mal considérés : « Ceux de Lampedusa sont écoutés, pas nous ». Son action au nom prémonitoire de « suicide social » témoigne de sa détresse mais est tout de même le reflet du peu de considération des revendications (parfois minimalistes) des personnes au destin non linéaire.

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