Société

Huguette Bello : Contre la privatisation de la SIDR

Voici l’intégralité de l’intervention d’Huguette Bello lors de la conférence presse sur le projet de privatisation de la SIDR

Le logement social est actuellement l’objet de tractations très importantes mais aussi très discrètes. Il est important que les Réunionnais en soient pleinement informés. D’abord parce qu’ils sont les premiers concernés surtout quand la recherche d’un logement s’apparente à une course d’obstacles. Ensuite parce que le logement est un créateur d’emplois directs très important. On ne le répétera jamais assez : le logement social est le grand chantier par excellence de la Réunion. Un grand chantier qui n’a d’ailleurs besoin d’aucune propagande.

Le débat en cours concerne plus précisément les Sociétés immobilières des Départements d’outre-mer communément appelées SIDOM. Et en ce qui nous concerne, il s’agit de la SIDR, qui notons-le tout de suite est, avec un parc de 24 000 logements, la plus importante de toutes les SIDOM.

De manière surprenante, deux événements sont en train de s’additionner pour modifier en profondeur l’actionnariat de la SIDR : d’une part la volonté du gouvernement de modifier la législation relative à l’actionnariat de référence des SIDOM : un article sera examiné par les députés à la fin de cette semaine.

D’autre part, le courrier de la Présidente du Conseil départemental dans lequel elle déclare son intention de vendre les parts que la Collectivité possède au sein de la SIDR.

Comme vous le savez, les SIDOM sont des structures originales  et spécifiques aux Outre-mer. Elles ont été créées très peu de temps après le vote de la départementalisation.
En effet, la loi du 30 avril 1946 prévoit  que « le ministre de la France d’outre-mer (ainsi qu’on le disait à l’époque) (…) pourra notamment, en ce qui concerne les activités essentielles à l’exécution des plans ou à la vie économique et sociale des territoires en cause (…)   provoquer ou autoriser la formation de sociétés d’économie mixte dans lesquelles l’Etat, les collectivités publiques d’outre-mer ou les établissements publics desdits territoires auront une participation majoritaire.  »

C’est en vertu de ce texte que, dès 1946, sept SIDOM seront créées dans les nouveaux départements d’Outre-mer. Pour nous, on l’a dit, ce sera la SIDR.

Et depuis 70 ans maintenant, l’Etat (via l’AFD qui porte ses parts) et les collectivités (en l’occurrence le Conseil départemental pour la SIDR) sont nettement majoritaires dans le capital.

Il y a un an, de manière informelle, le Gouvernement a fait part, de son intention de se désengager du capital des SIDOM.
Les choses s’accélèrent ces jours-ci puisque le Gouvernement a inscrit dans la loi Sapin 2, qui sera examiné cette semaine, un article visant à rendre possible la vente en bloc des actions de l’Etat à une filiale privée de la Caisse des dépôts et consignations à savoir la SNI qui deviendrait alors l’actionnaire majoritaire.

Ce n’est pas la première tentative de l’Etat de se désengager des SIDOM. Mais c’est la seule qui arrive au stade législatif. Le déclencheur de cette nouvelle tentative est à rechercher en Guyane dans les difficultés de la Société immobilière de Guyane (la SIGUY) qui accuse un déficit de 20 millions. Un plan de redressement a été validé en 2015.

A partir de ces difficultés bien localisées, le Gouvernement, c’est-à-dire la Ministre des Outre-mer mais aussi, mais surtout le, Secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, ont manifesté leur intention de se désengager totalement du capital de toutes les SIDOM au profit d’un opérateur unique et commun.

Il est important de préciser ici que cette solution globale a été retenue alors même que les autres SIDOM enregistrent de très bons résultats financiers que leurs fonds propres s’élèvent à plusieurs millions d’euros et que les marges d’autofinancement se situent au-delà des ratios de prudence.

Des questions sans réponse

Mais alors si les SIDOM sont dans une situation satisfaisante, si elles ont su s’adapter à toutes les évolutions y compris le financement par la défiscalisation, plusieurs questions se posent :

– La première question qui vient à l’esprit est de se demander pour quelles raisons le Gouvernement souhaite céder les parts détenues par l’Etat d’autant qu’il déclare ne pas vouloir réaliser une opération financière et que la question de prix de vente n’est jamais abordée. Si l’on en croit la Ministre des Outre-mer, (je la cite) « l’actionnariat actuel ne comporte pas de professionnels du logement et il en résulte une défaillance dans l’exécution des choix et dans le contrôle financier. »

– La deuxième question est de savoir pourquoi le Gouvernement n’envisage-t-il qu’une seule solution à savoir la cession en bloc à la SNI ? Pourquoi cette solution globale, qui contredit le processus de décentralisation à l’œuvre et qui recueille de moins en moins l’adhésion des élus des différents territoires, est-elle présentée comme la seule et unique solution ?
– La troisième question est de comprendre pourquoi, en dépit de leurs multiples interpellations, les élus n’ont pas été associés à cette décision et pourquoi aucune concertation véritable n’a été organisée. Il semblerait même que les collectivités actionnaires aux côtés de l’Etat n’aient même pas été directement informées.

– La quatrième question concerne l’hypothèse de la cession aux collectivités. Pourquoi n’est-elle jamais mise à l’étude alors même que les élus l’avancent comme une solution viable respectueuse des différentes réalités ultra-marines.

Depuis ces dernières semaines, les élus ultra-marins interviennent de plus en plus pour s’inquiéter des conséquences de ce bouleversement. Ils proposent que la structure du capital ne soit pas à ce point bouleversée. Nous demandons que celui-ci demeure majoritairement public. Nous sommes nombreux à proposer que soit prévue la possibilité pour les collectivités de monter au capital des SIDOM et de devenir les actionnaires de référence.

Cette proposition est d’autant plus envisageable que dans toutes les SIDOM, les collectivités locales forment déjà le 2ème pôle d’actionnariat. Pour cinq d’entre elles, elles constituent d’ores et déjà plus de 40% du capital. C’est le cas de la SIDR qui détient 43% des parts. Les sommes que les collectivités auraient à mobiliser pour devenir actionnaire majoritaires ne représentent donc pas des budgets insurmontables et dépassant de leurs capacités.

Le Conseil départemental de la Réunion double la mise

C’est dans ce contexte de forte mobilisation des élus ultra-marins qu’intervient l’initiative de la présidente du Conseil départemental de la Réunion. Elle double la mise. Le Quotidien nous apprend en effet cette semaine que Nassimah Dindar s’est saisi de cette occasion pour manifester son intention de vendre à son tour les parts que la collectivité détient dans la SIDR.
Cette surenchère, qui isole totalement la Réunion, est très grave. Elle signifierait que les 24 000 logements sociaux de la SIDR passeraient intégralement sous la propriété d’un opérateur qui est une filiale privée de la CDC, que les Réunionnais se retrouveraient ainsi totalement exclus de la gouvernance de la SIDR.

Peut-on là encore sans aucun débat, aucune information, au détour d’une simple lettre décider du sort de tant de familles ; déposséder les Réunionnais de leur parc de logement social et engager de manière si définitive l’avenir de notre patrimoine immobilier.

Je tiens à signaler également que, le 1er juin,  trois Présidents de Région d’outre-mer (Ary Chalus pour la Guadeloupe, Alfred Marie-Jeanne pour la Collectivité Territoriale de Martinique et Rodolphe Alexandre pour la Guyane) demandent, dans une déclaration commune, que soit garantie « une maîtrise publique pérenne des SIDOM. »

Des ambiguïtés à lever

L’absence de concertation a donné naissance à un certain nombre d’ambiguïtés. Il est grand temps de les lever à commencer par trois d’entre elles qui faussent considérablement le débat

– Première ambiguïté : Il ne s’agit pas ici de remettre en cause ni le professionnalisme de la SNI, ni sa force de frappe dans le domaine du logement, ni son éventuelle présence en tant qu’actionnaire minoritaire. Que les choses soient dites clairement : si nous tenons à ce que la majorité du capital soit détenue par des personnes morales de droit public (Etat, AFD, Collectivités locales, CDC), nous ne sommes pas opposés à la présence, aux côtés de ce pôle public stable et majoritaire, d’autres actionnaires et notamment des professionnels de type SNI.

– Deuxième ambiguïté : L’argument constant du gouvernement est de dire qu’il s’agit d’adosser, pour les renforcer, les SIDOM à la Caisse des dépôts et consignations, via sa filiale spécialisée, la SNI, et qu’il ne s’agit donc en aucun cas d’une forme de privatisation du logement social.

Oui la SNI est une filiale à 100% de la CDC, et oui elle est le plus grand opérateur de logement social de France. Mais elle est une filiale privée de la CDC.

La nuance n’est pas anodine. Si la CDC est placée depuis sa création en 1816 sous la garantie du Parlement et que la Commission de surveillance qui la contrôle comprend notamment cinq parlementaires, il en va tout autrement pour la SNI dont le conseil de surveillance ne comprend aucun élu.

De plus, je voudrais attirer votre attention sur un point dont ne parle jamais. Qui peut nous garantir quant à l’évolution future de la SNI. Qui peut nous dire qu’elle ne connaîtra pas, à plus ou moins long terme, une évolution analogue à celle d’ICADE ?
En effet, à l’origine d’ICADE, il y a la SCIC créée en 1956 pour la construction de logements sociaux et d’infrastructures publiques et parapubliques. La SCIC est alors d’une filiale privée à 100% de la Caisse des dépôts. Durant les années 2000, elle devient Icade, se désengage totalement du logement social, se réoriente vers des activités plus rentables et devient une société foncière cotée en bourse. Le bouleversement est profond. Aujourd’hui, la participation de la CDC dans le capital d’Icade est passée en-dessous de 50%.

Notons d’ailleurs que c’est à cette occasion que la SNI, est devenue, en 2004, une filiale de la CDC et a racheté le parc de logements sociaux de la SCIC.

Pour rapide qu’il soit ce résumé laisse entrevoir que ce n’est pas du tout la même chose d’avoir comme actionnaire la CDC ou la SNI.

Il nous invite aussi à nous interroger sur la marge de manœuvre des collectivités une fois que la majorité des parts (et si l’on suit les intentions de Nassimah Dindar, la totalité des parts) seront détenues par un opérateur privé dont l’évolution leur échappe totalement.

– Il y une troisième ambiguïté qu’il faut lever. Contrairement à ce que différentes déclarations pourraient laisser croire, la question de l’évolution des SIDOM ne peut absolument pas être confondue avec un débat sur la politique publique en matière de logement social. Nous approuvons d’ailleurs sans aucune réserve la toute récente décision du Gouvernement de supprimer l’agrément fiscal préalable afin de débloquer et de rendre plus fluide les opérations de logements sociaux. Simplifier le traitement des dossiers est une réponse attendue par tous et elle est unanimement appréciée. Mais cette unanimité ne dispense en aucun cas d’un véritable débat sur l’avenir des SIDOM.

Des garanties à apporter

La perspective de voir la SNI (et non la CDC) devenir l’actionnaire majoritaire des SIDOM ne peut pas, comme c’est le cas aujourd’hui, avoir lieu sans que ne soient apportées, dans la durée, un certain nombre de garanties :

– Garantie pour les collectivités locales : leur place dans la gouvernance, leur poids dans les décisions.
– Garanties pour les personnels : une restructuration d’une telle importance a forcément des incidences sur les personnels.
– Garanties pour les nombreux investisseurs qui se sont lancés dans des opérations de défiscalisation.
– Et bien sûr garanties pour le parc de logement social : n’oublions pas que 80% des familles réunionnaises sont éligibles à un logement social

Pour une concertation approfondie

Des questions sont sans réponses, des ambiguïtés à lever, des garanties à apporter, bien des points, trop de points cruciaux restent en suspens.

C’est pourquoi nous appelons à une vaste concertation en sorte que chacun puisse prendre les meilleures décisions. Concertation à deux niveaux :

Au niveau local, nous demandons la tenue d’un débat public au sein du Conseil départemental sur l’avenir de la SIDR.

Au niveau national, les élus doivent examiner en fin de semaine l’article du gouvernement qui modifie la structure du capital.

Avec plusieurs de mes collègues, j’ai déposé un amendement de suppression de cet article en sorte que puisse enfin être lancée une concertation approfondie avec tous les élus.

Nous avons également déposé un 2ème amendement (de repli en quelque sorte) qui vise à maintenir l’obligation d’un actionnariat majoritairement public.

Je prends l’avion ce soir pour assurer la défense de ces amendements.

Je vous tiendrai au courant du sort qui leur sera réservé.

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