Société

Esclavage en Mauritanie: lettre ouverte à Emmanuel Macron

Lettre ouverte à l’attention de Monsieur Emmanuel Macron, président de la République française.

Monsieur le président de la République,

« La dénonciation par la France est sans appel ». Par ces mots, vous avez eu le courage de rappeler en novembre 2017 que l’esclavage est « un crime contre l’humanité ». A ceux qui reprochaient aux occidentaux leur part de responsabilité, vous expliquiez justement qu’en Libye : « la traite d’êtres humains est faite contre des Africains par des Africains ».

Vous vous apprêtez à venir en Mauritanie, où l’esclavage, omniprésent et séculaire, demeure le fait d’Africains sur d’autres Africains. Avec votre homologue mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, vous parlerez des défis transversaux de la paix et du développement dans la sous-région Sahara-Sahel. Si la lutte contre le terrorisme sera sans doute la priorité de vos échanges, n’oubliez pas que l’esclavage, le racisme anti-noir et l’extrémisme religieux constituent, en Mauritanie, les facettes d’une même oppression.

L’exploitation d’une main d’œuvre sous contrainte, ce fléau millénaire, continue de façonner la mémoire et le présent des miens.

Depuis bien avant la colonisation, des millions de mes compatriotes le subissaient, et le subissent toujours aujourd’hui. C’est une infamie locale, produit de notre histoire et expression d’une inhumanité absolue.

Les Harratines, un des groupes ethniques les plus importants, sont exploités dès la naissance. Ils sont les parias d’une condition servile sur laquelle la Mauritanie s’est bâtie. Au prétexte de la race, ils étaient vendus et mutilés, offerts en cadeau ou séparés par héritage. Aujourd’hui, ils restent nombreux à être confinés au travail indécent. Le Code noir de chez nous, appelé « rite malékite » ou « Charia », vulgarise l’usage de cette viande sur pied, au point de réglementer le détail du viol et du cuissage sur les femmes, parfois mineures.

 Une tentative d’épuration ethnique en 1986-1991, paroxysme de cette inégalité, visait l’anéantissement, sinon l’expulsion, des ethnies noires de Mauritanie avec son lot d’atrocités: pogroms, torture, assassinats collectifs, disparitions forcées, radiations de la fonction publique, etc. Ces crimes, imputés à l’État, ont créé un clivage structurel et une discorde entre les composantes du peuple mauritanien. Jamais, il n’y a eu de réparation à la mesure du dégât. L’impunité et le silence sont devenus la norme.
La Mauritanie s’enfonce depuis dans le fanatisme et la misère. La dérive de mon pays vers le wahhabisme maintient les discriminations sous le voile du sacré, afin de mieux les proroger.

En mai 2018, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies a répertorié la reproduction des inégalités liée à la généalogie et la permanence de leurs effets, à grande échelle. Les recommandations onusiennes ont insisté sur le laxisme des tribunaux en charge des rares poursuites contre les auteurs de pratiques esclavagistes.

Il n’est pas besoin de chercher loin la source de la complaisance. Le 3 mai 2016, le chef de l’État, lors d’un discours public, a déclaré : « Les Harratines sont nombreux et font trop d’enfants et rien ne peut être fait pour eux dans ces conditions ». La politique du gouvernement est de supprimer socialement les Harratines et les autres composantes d’Afro-descendants mauritaniens.

Combien de fois avons-nous été emprisonnés, suppliciés, relégués dans le désert et désignés à la vindicte, seulement parce que nous proclamions le droit universel à vivre libres et dignes sur la terre de nos ancêtres?

Nos associations sont interdites, nos partis bannis. Nous sommes des milliers à errer dans le temps social, sans personnalité juridique ni visage. Comme le notait Human Rights Watch le 29 mars 2018, « le processus national d’enrôlement à l’état civil en Mauritanie empêche certains enfants de s’inscrire à l’école publique et de passer des examens nationaux obligatoires ». La biométrie se transforme en outil de marginalisation des composantes majoritaires, pour entraver leur accès aux cartes d’identité et d’électeur. Les experts indépendants et autres rapporteurs de l’ONU décrivent, dans leurs conclusions étalées de 2015 à 2018, une Mauritanie que son surpoids d’injustices rend vulnérable à la dislocation.

L’ONU a également dénoncé la persécution du blogueur Mohamed Cheikh Ould M’Kheitir, emprisonné depuis 4 ans. Accusé d’apostasie, opinion passible de la peine de mort dans le code pénal, un tribunal, en constatant son repentir, a commué le verdict initial en deux années de réclusion. Mais l’aile conservatrice du pouvoir, en connivence avec les segments pro-jihadistes de l’opinion, a décidé de le garder otage, en attendant l’audience de recours devant la Cour suprême. L’ex-prévenu est aujourd’hui séquestré dans un lieu inconnu. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU réclame pourtant sa libération depuis avril 2017.

Pire encore, le Conseil des ministres a soumis au Parlement un projet de loi punissant automatiquement de mort les « propos jugés blasphématoires », même en cas de repentir.

Le 27 avril 2018, les députés ont voté le texte liberticide. La Mauritanie, membre du G5 Sahel, combat les groupes jihadistes hors de ses frontières et applique leur programme sur son territoire.

Alors que des bâtiments d’écoles publiques de la capitale Nouakchott ont été vendus par le régime, laissant ainsi les écoliers à la rue, des écoles de savoir « islamique » sur lesquelles l’État n’exerce aucun contrôle, ont été transformées en des centres de radicalisation. Des milliers de jeunes y apprennent la haine de l’Autre, l’infériorité de la femme et le devoir d’abolir les libertés de conscience et la diversité culturelle. Les voici dressés au combat, gorgés de colère contre la joie, la littérature, les sciences et toute célébration de la vie.

Au nom du Monde libre qui inspire l’essor de la démocratie, pour la civilisation, le genre humain et votre grand pays, de grâce, ne cautionnez pas la dérive qui dévaste, endeuille et tue!

Monsieur le Président,

Comme vous l’avez proposé pour la Libye, il faut, en Mauritanie, « une action immédiate et massive pour les populations en danger ».

Previous post

Josette Borel-Lincertin exprime ses profondes réserves sur la méthode du Gouvernement

Next post

Des procès verbaux dressés à l’encontre des 6 établissements de la plage de l’Hermitage

97land

97land

Des infos, des potins, des événements... Toute l'actu du 97.

No Comment

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *