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Derriere Knysna, un « racisme de classe » ?

Extraits de Derrière la condamnation des footballeurs de l’équipe de France, un « racisme de classe » ? par Stéphane Beaud, sociologue.

… Les Bleus n’ont cessé d’être l’objet d’articles de presse ou de reportages télévisés « à charge ». Ils semblaient cumuler une série de tares sociales rédhibitoires : peu diplômés pour la plupart, souvent maladroits ou mal à l’aise dans leur expression orale, adeptes d’un mode de vie tapageur (voitures de course, montres et vêtements de marque, etc.), signant là leur forfait de parfaits « nouveaux riches ». Sans compter qu’ils perçoivent des salaires de PDG de Cac 40 ou de traders de la City. Mais on ne comprend pas cette fixation négative sur les Bleus et les footballeurs professionnels si on fait l’économie de l’analyse des rapports professionnels entre joueurs et journalistes de football.

Les rapports entre joueurs et journalistes de football

Le comportement des Bleus durant la partie sombre de l’ère Domenech (2006-2010) pouvait effectivement heurter, voire choquer, les journalistes de football. Ceux-ci pouvaient fréquemment leur reprocher d’arriver en retard au rendez-vous (ou de les « oublier »), de répondre de manière laconique ou ironique aux journalistes, de se montrer même parfois à la limite de la politesse, etc.

Ce comportement des joueurs à l’égard des journalistes illustrait à sa manière ce que les experts du football ont coutume d’appeler la République des joueurs, à savoir l’inversion du rapport salarial entre joueurs et clubs ou staff des Bleus. Cette forme de prise de pouvoir des joueurs a suscité de manière structurelle l’ire des commentateurs autorisés qui y ont vu bien souvent une aberration, une inversion insensée de l’ordre social.

De quel droit les plus « durs » parmi les joueurs – avec leurs études écourtées ou avortées, leur faible niveau de langage, leur « accent de cité », etc. – se permettaient-ils de tenir tête à des journalistes vedettes ? Comment pouvaient-ils oser braver cet interdit ? D’ailleurs, les altercations entre joueurs et journalistes sont fréquemment relatées par ces derniers et peuvent faire la « une » de l’actualité sportive plusieurs jours durant.

Du côté des joueurs, une des principales raisons qui sous-tendent cette animosité est à chercher dans leur sentiment, rarement exprimé en tant que tel (car non dicible ouvertement), d’être méprisés par les journalistes. De fait, les plus médiatiques d’entre ceux-ci, profitant de leur forte exposition, n’hésitent pas à moquer ouvertement les manières fautives de parler des footballeurs ou leurs manières limitées d’argumenter et ne se privent pas d’émettre, dans leurs commentaires en direct, des jugements sociaux sur leurs personnes.

On peut ainsi analyser les prises de parole de certains joueurs contre les journalistes comme l’expression d’une rébellion sociale contre le mépris de classe dont eux et leurs collègues de travail se sentaient victimes de la part de certains journalistes, une manière de dire stop au Bleus Bashing si en vogue un moment dans certaines salles de rédaction. Une manière de protester contre cette manière récurrente d’être considérés comme sous-éduqués ou sous-développés intellectuellement.

L’idée s’est imposée que les footballeurs étaient des sportifs « à faible QI »

De fait, avec la montée en puissance du foot-business et l’envolée des montants des transfert et des salaires des joueurs, l’idée s’est imposée dans le milieu journalistique et dans l’opinion publique que les footballeurs étaient des sportifs de haut niveau « à faible QI », à l’opposé par exemple de ces sportifs vertueux que sont les nageurs, les handballeurs ou les athlètes.

A l’occasion de l’éclosion d’un jeune talent (Allan Saint-Maximin) de l’équipe de St Étienne, un portrait intéressant du journal L’Équipe lui était consacré. On y apprend qu’il est né à Châtenay-Malabry, le deuxième d’une famille de trois enfants, que son père est guyanais (chauffeur dans l’administration) et sa mère guadeloupéenne (directrice d’école à Meudon). Sa mère s’est sentie obligée de préciser au journaliste que son fils est « doté d’un QI de 145 », comme pour prévenir tout amalgame avec la figure du joueur de cité réputé « écervelé ».

Cette image sociale sans cesse ressassée reste fort prégnante dans l’opinion publique mais aussi chez les journalistes…

Cette condamnation morale et symbolique des joueurs était un « beau symptôme », pourrait-on dire, qui nécessite, pour en comprendre la signification, d’aller voir du côté de la « psychanalyse sociale ».
Quel en était le motif caché ? Pourquoi les médias et les commentateurs s’en sont-ils pris de manière obsessionnelle, après Knysna, aux joueurs français les plus « discréditables » – par leur couleur de peau, leur religion, leurs stigmates de classe (dont en premier lieu le langage), leur origine « de cité » ?
Le fond de l’affaire renvoie, nous semble-t-il, à une profonde transformation du rapport de ces intermédiaires culturels que sont les journalistes aux jeunes de milieu populaire que sont majoritairement les footballeurs aujourd’hui. On pourrait dire que les formes d’autocensure pour parler des « enfants du peuple » ont vacillé après les émeutes de 2005 – moment historique où les jeunes de cité sont devenus les nouvelles classes dangereuses, où Nicolas Sarkozy a officialisé le terme de « racailles » pour les désigner – et ont en quelque sorte cédé après Knysna. Bien des commentateurs du football se sont ensuite sentis autorisés à prononcer, à propos des joueurs, de véritables « jugements de classe », en toute impunité, sans que personne ne vienne leur chercher querelle ni les contester.

Au fond, la question posée en filigrane dans ces jugements sociaux sur les Bleus était aussi celle de leur légitimité à porter le maillot national et à représenter le pays. Le soupçon qui a été sans cesse instillé était celui de leur non-appartenance au « Nous » national et, plus largement, celui de l’illégitimité des jeunes issus de l’immigration postcoloniale à prendre leur place dans la société française contemporaine…

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