De l’humour et du racisme
Michel Leeb vous fait-il rire ou vous met-il en colère ? Sur le blog Davefoshizzle une reflexion intéressante sur l’évolution de l’humour et du racisme en France. Et des extraits de la réaction de l’auteur à certains commentaires…
À voir : https://davefoshizzle.wordpress.com/2018/02/06/de-lhumour-et-du-racisme/amp/?__twitter_impression=true
…Quand je vois certains commentaires qui disent que le fait de mettre des gens dans des cases pour les protéger, voir créer des espaces non mixtes, c’est ça la vraie source de ces différenciations et que si on y prêtait pas attention il n’y aurait plus de problèmes, et bah non, encore une fois, c’est pas si simple.
Vous savez quoi ? Je n’avais pas conscience d’être noir jusqu’à mes 15 ans. J’ai grandi en banlieue parisienne, dans une ville assez diverse. Y avait des noirs, des arabes, des blancs, des asiats, tout le monde était mélangé, et personne ne faisait gaffe à ce genre de détails.
Des fois quand on jouait au foot y avait toujours un abruti pour proposer de faire un match ‘les noirs contre les blancs’, sauf qu’il voulait quand même deux-trois joueurs blancs avec lui parce qu’il savait que ces gars là étaient très bons. Ça peut sembler raciste sur le papier, et quand on est pas habitué à ce genre de milieu ça peut même choquer, mais entre nous, c’était normal. Et au final on finissait quand même par se mélanger, parce que clairement s’il voulait gagner son putain de match il avait pas intérêt à m’avoir moi dans l’équipe des noirs. Donc au final même quand on essayait, la ségrégation ne tenait pas longtemps parce qu’on était tous pareil dans le fond. Et du coup je savais pas trop où j’étais. Mais un jour, j’ai fait une réflexion à la con sur le fait qu’un type était noir (dans une série TV), et mon oncle (blanc, texan), m’a simplement dit ‘mais toi aussi t’es noir en fait’. Et là d’un coup, mon monde a changé.
Dans un premier temps j’ai juste répondu ‘bah non’. Puis j’ai regardé mes mains, et j’me suis dit ‘merde, mais en fait j’suis noir’. Pas que je sois particulièrement malin ou quoi, mais j’avais 15 ans, et je venais de découvrir que j’étais noir. Surprise ! D’ailleurs quand je dis que je suis noir aujourd’hui certains potes de l’époque me rappellent allègrement que j’étais le premier à dire le contraire dans ma jeunesse.
Mais d’un coup, ça a donné une nouvelle perspective à toute ma vie.
Ma maitresse de CM1-CM2 qui me traitait de singe quand je parlais un peu trop en cours, et n’utilisait ce surnom que pour moi, seul élève non blanc dans une classe de primaire de Lagny-sur-Marne, c’était pas un surnom affectif en fait. Cette même maîtresse qui m’obligeait à recopier mes notes pendant le seul cours de sport de la semaine, pendant que tous les autres allaient courir dehors, parce que j’écrivais ‘comme un babouin’ et que je devais faire des efforts, pour moi elle s’inquiétait de mon avenir. J’en suis même venu à copier traits pour traits l’écriture d’un ami, qui lui avait toujours le droit d’aller en sport. Et à ma grande surprise, j’ai quand même été privé de sport jusqu’à la fin de l’année parce que j’écrivais toujours trop mal. Le plus drôle, c’est que j’écris toujours à peu près comme ce mec aujourd’hui, alors qu’il ne doit même plus savoir que j’existe. Nico, si un jour tu me lis ;).
En CM2 un autre noir a débarqué, et là bizarrement, ça s’est calmé. Ptête que ça s’est dilué je sais pas, ptête que lui en a plus chié que moi. Je n’en sais sincèrement rien.
Un autre truc, le fait que le vigil de l’intermarché du coin me colle toujours au train à chaque fois que j’allais acheter quelque chose. J’y suis allé pendant près de 10 ans à ce putain d’intermarché, le vigil je l’appelais par son prénom. Et il me suivait quand même à chaque fois, faisait mine de lire les étiquettes d’un produit pris au pif quand je me retournais. J’ai fini par me dire que j’étais parano, qu’il patrouillait juste le magasin. Du coup un jour j’ai fait semblant de foutre un truc dans ma poche pendant qu’il me ‘suivait’. Truc que j’ai payé. Et bah bingo, à la sortie de la caisse il m’a choppé et m’a fouillé (sans en avoir le droit d’ailleurs, mais quand t’es ado tu poses pas de questions).
Quand j’en ai parlé à d’autres potes ils m’ont dit qu’eux aussi, avaient droit à une filature à chaque sortie pour acheter des gateaux. J’me suis dit que c’était normal. J’avais pas réalisé que ces mêmes potes étaient noirs également. Bon du coup ça s’est transformé en jeu, à qui arriverait à le semer le plus vite dans les rayons. Mais il était bon le con !
En parlant de vigile, je sais pas vous, jpense que c’est un truc de grande ville, mais si je veux rentrer dans un magasin avec un sac, ou je le laisse à une consigne, ou je me le fait agrafer, et c’est chiant ! Du coup j’ai prit pour habitude de ramener mes sacs à ma bagnole avant d’aller d’entrer dans un supermarché, ou bien d’y aller à plusieurs, avec un qui attend les autres à la sortie avec tous les sacs. Pour moi c’était normal et j’ai toujours fait gaffe à ne jamais rentrer dans un magasin avec un sac, ou à essayer de le planquer pour que le vigil ne le vois pas. Puis l’an dernier, on faisait des courses avec ma copine (qui est blanche), et justement, elle veut aller à monop, mais moi, comme un con j’ai acheté des trucs ailleurs avant, donc je lui dit tout naturellement que je l’attend à la sortie du magasin, comme je l’ai toujours fait. Mais plutôt que de me dire ‘ok’ et d’y aller sans moi, elle reste plantée là, sans comprendre ce que je veux. Je lui explique, et elle commence à rire. Oui parce qu’en fait on ne lui a jamais fermé son sac à l’entrée d’un magasin, elle ne savait même pas que ça se faisait. Du coup je lui dit que si on passe le vigile va nous suivre et ça va être relou. Et elle me demande pourquoi le vigile ferait ça.
En fait, elle n’avait jamais vécu ça. Elle n’avait même pas idée que ça pouvait se produire, et ce qui était normal pour moi, était absurde pour elle. Elle ne comprenait pas non plus pourquoi j’insistais pour toujours avoir ma carte d’identité sur moi. Bah oui, pourquoi les flics nous contrôleraient ? Bonne question d’ailleurs.
Je sais pas d’ailleurs, si à 12 ans c’était normal qu’une fois par semaine vous vous retrouviez jambes écartées, les mains contre une benne à ordures, à vous faire palper par un mec de vingt ans plus vieux que vous. Qui vous demande de vider votre sac par terre et se casse sans même dire bonne journée pendant que vous ramassez vos affaires sur le sol. La première fois je vous jure que c’est assez humiliant, et ceux qui vous diront qu’il n’y a qu’à se tenir tranquille, qu’ils ne font que leur métier et que si on ne fait rien tout se passe bien, clairement ils ne l’ont pas vécu aussi jeune et aussi souvent.
Au bout de la 3ème fois en un mois on demande pourquoi, on vous répond que c’est comme ça, et puis vous arrêtez de demander et vous vous dîtes qu’effectivement c’est comme ça. Enfin ça c’est pour moi, y en a qui n’arrivent pas à être d’accord, et pour eux, ça se finit souvent au poste.
En parlant d’autorités, ça se passe comment pour vous quand vous prenez l’avion ? Non parce que moi je sais que si je voyage seul, j’ai intérêt à être clean de chez clean. Par exemple si je vais aux États-Unis, le temps d’attente entre le moment où je descend de l’avion et la sortie de l’aéroport est en moyenne d’1h30 à 4h. Bah oui, ça prend du temps de poser des questions sur ma famille et me redemander 5 ou 6 fois pourquoi je viens là et si j’ai bien l’intention de repartir. Et bonus, j’ai un nom à consonnance arabe, quand je sors mon passeport c’est deuxième round de questions assuré !
Le plus drôle, c’est que l’an dernier, en allant à l’île Maurice avec des potes, j’ai vécu l’inverse. Là bas tout le monde est à peu près typé comme moi. Du coup moi à la douane, bah je passe en 2 minutes sans qu’on me demande quoi que se soit. Mes potes par contre, on leur a posé toutes les questions du monde, et dis donc ça les a soulé. Et étrangement, et c’est pas super cool, ça m’a fait du bien, que pour une fois ça tombe pas sur moi, mais justement sur ceux sur qui ça ne tombe jamais d’habitude.
Enfin bref, c’était super long, et des histoires comme ça j’en ai à la pelle. Mais pourquoi je me fais chier à vous les raconter, et surtout pourquoi je vous fait chier avec tout ça ? Tout simplement parce que quand vous dîtes qu’on créé nous même nos cases à s’entre différencier, c’est qu’on a été entre-différenciés à la base. C’est qu’on nous traite différemment, qu’on nous parle différemment, qu’on nous considère différemment.
Ces cases on ne les a pas créées, on nous y a mis. Et quand on se permet de faire de l’humour communautaire, on n’entretient pas ce racisme, on n’entretient pas ces cases, on se les approprie. On devient propriétaire de cette identité qu’on nous a imposé, et on la porte fièrement, plutôt que de la traîner sur notre dos comme une marque de honte et de différence. Comme un portugais peut arborer fièrement son drapeau pendant la coupe du monde d’ailleurs. Là ça ne gêne personne, vu que c’est une culture qu’on connaît.
Oui certaines blagues peuvent blesser, et encore plus quand elles sont mises en avant par des gens qui peuvent influencer des millions de personnes.
Oui faire un accent chinois pété ça peut être drôle, j’ai même des potes asiats qui le font tiens. Mais quand tu vois des gars le faire à la télé ou dans des films, bah tu te dis que c’est accepté par tout le monde vu que c’est mis en avant dans un média publique et populaire.
Sauf que quand t’es vietnamien par exemple, et que t’as 10 débiles dans la même semaines qui vont te parler avec cet accent à la con parce que ça les a fait rire dans un sketch et que tu es l’incarnation vivante de ce sketch pour eux, et bah ça peut très vite te souler.
Oui on fait des blagues sur les belges ou sur les suisses. Sauf qu’on les considère déjà comme belges ou suisses, on ne fait pas ‘d’accent blanc’ pour faire marrer les copains. Alors que l’accent ‘chinois’ ou ‘africain’ ou encore ‘arabe’, bah ça concerne des centaines de peuples et d’ethnies différentes qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Et ne venez pas me dire ‘euh on fait l’accent belge pareil pour tout le monde alors qu’un Bruxellois et un Liégeois c’est pas pareil hein’, y a une différence entre faire référence à une nationalité, et désigner des millions de personnes par aucun autre facteur que leur putain de couleur de peau.
Enfin bref, après avoir lu tout ça, je vous demanderai juste : les cases, on les ferme quand ?
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