« Bonjour » Señora Condé
Sorayda Peguero Isaac est née en République dominicaine. Elle réside actuellement à Sabadell, pres de Barcelone. Elle a collaboré à Human Journalism, Yorokobu et LaCasa Magazine. Elle écrit actuellement pour le Daily List et El Espectador oú cet article a eté publié le 17 aout, témoignant de l’universalité de l’oeuvre de Maryse Condé.
Je me fais l’impression d’etre une ado se préparant avec dévotion pour son premier rendez-vous. Devant mon miroir, je répète en boucle l’unique formule de salutation que je connaisse avec mon français plus qu’hésitant. Comme une petite fille récitant la litanie de la liste de courses confiée par sa mère, je rabâche tout le long du chemin : « Maitrise tes émotions et sois professionnelle. » Une fois présentée, elle a un large sourire et croise les mains : « Oh ! Une Dominicaine ! Une soeur ! ». L’entretien n’a pas commencé que mon « professionnalisme » a volé en éclat.
À New York, lorsque Maryse Condé a déclaré : « Je viens de Guadeloupe », les gens ont réagi avec étonnement : « Guadeloupe ? Jamais entendu parler d’un tel endroit ».
Son pays est l’une des petites Antilles dans les Caraïbes, à environ 1 000 kilomètres de la République Dominicaine, ma terre natale. Cependant, avant de lire « La nouvelle colonie du monde », ma première approche de l’oeuvre de Maryse Condé, je ne savais rien de cet archipel. Je ne me suis pas réferée aux îles voisines, telles Cuba, Porto Rico ou la Jamaïque. Je ne connaissais rien, ni de sa gastronomie, ni de son passé colonial, encore moins ses écrivains.
J’ai passé des heures à faire l’inventaire des auteurs lus au lycée, le programme des deux dernières années comprenant une vingtaine d’ouvrages. Je me suis souvenue de 14 titres. J’ai ensuite contacté d’anciens camarades pour la compléter. Et j’ai eu la confirmation d’un terrible constat : aucun auteur féminin n’y figurait. Cette réalité m’est venue à l’esprit pendant que je découvrais « Le Cœur à rire et à pleurer », les souvenirs d’enfance de Maryse Condé. J’ai accompagné cette fille dangereusement libre lors de ses promenades à la place de la Victoire. J’ai célébré ses actes de rébellion. J’ai pleuré avec elle et pour elle, pour ses pulsions de mort, la fin de son innocence et pour ces ouragans de la vie qui brisent l’argile dont nous sommes faits.
La femme en face moi ne peut me voir. Une maladie dégénérative la prive de la vue et de la mobilité de ses jambes. A ses cotés son mari, le Britannique Richard Philcox. Maryse Condé est née en 1937 à Pointe-à-Pitre, capitale de la Guadeloupe. Elle a écrit plus de 30 livres, a été professeure à Berkeley, à La Sorbonne et à Harvard, a fondé le département d’études francophones de l’Université de Columbia et a été la première présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage en France. En 2018, après le scandale des sévices sexuels à l’origine de la suspension du prix Nobel de littérature, un groupe d’intellectuels suédois a créé le Nobel Alternatif, qui a récompensé la création littéraire de Maryse Condé. Dans son discours, lors de la cérémonie, la Guadeloupéenne a proclamé : « Oui, les femmes peuvent écrire. Oui Les Noirs peuvent écrire. Oui, les habitants d’une petite île sans importance qui ne reçoit jamais l’attention internationale peuvent écrire ».
Maryse Condé écrit pour elle-même. Sur les femmes, l’Afrique, les Noirs, les révolutions personnelles et collectives et les chemins sinueux de la mémoire antillaise. C’est sa manière de comprendre le monde, de se créer sa propre langue. Maryse Condé ne croit pas qu’un écrivain ait une langue maternelle définie. Grâce à la poètesse Martha Asunción Alonso, qui nous permet d’établir un passerelle entre nous, je l’interroge : Et la votre, en quoi consiste-t-elle ? “ La langue Maryse Condé est faite de mes passions et de mes pulsions intimes, c’est une langue que je crée en écrivant. Elle n’appartient à personne ».
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