Après les Antilles, la Réunion à l’aube d’un scandale sanitaire ?
Des extraits d’une tribune publiée par Fabrice Nicolino dans Reporterre le Quotidien de l’écologie « Pesticides : la Reunion à l’aube d’un scandale sanitaire ».
… J’aime La Réunion… Je veux vous parler des poisons qui endommagent pour des dizaines ou des centaines d’années les sols, et la santé des habitants, qu’ils soient hommes, bêtes ou plantes. Je parle bien entendu des pesticides de synthèse chimique.
Le scandale du chlordécone aux Antilles
Voyez-vous, j’ai suivi il y a déjà près de quinze ans l’affaire du chlordécone, aux Antilles. L’histoire est presque incroyable, car les autorités ont accepté l’usage dans les bananeraies d’un insecticide pourtant interdit aux États-Unis. La chronologie compte. En 1974 commence un scandale sanitaire dont on parlera dans le monde entier. Dans l’usine étasunienne qui fabrique le chlordécone, à Hopeville, des dizaines de travailleurs sont atteints de troubles neurologiques graves. On apprend ensuite que toute la région, via la James River, où l’on a jeté des milliers de tonnes de déchets souillés, est gravement contaminée. D’où l’interdiction prononcée en 1976.
Mais aux Antilles françaises, 4 ministres de l’Agriculture successifs accordent à partir de 1981 une effarante autorisation de mise sur le mar suivie de dérogations qui se poursuivront jusqu’en 1993. Le bilan, en cette année 2019, est atroce : très stable chimiquement, le chlordécone est présent dans les sols pour des centaines — centaines ! — d’années. Et la Martinique détient le record du monde du nombre de cancers de la prostate.
A La Réunion, il faudrait commencer par chercher
Moi, je suis sûr qu’il se passe quelque chose de grave à La Réunion. Certains pesticides interdits dans l’Union européenne sont épandus chez vous, comme l’attestent des déclarations officielles. Et que dire de la canne à sucre — près de 60 % de la surface agricole utile de l’île —, constamment aspergée par au moins une quinzaine de produits différents ? Parmi eux, le célèbre Roundup, plus toxique encore que sa principale matière active, le glyphosate. Ou encore l’Asulox, retiré du marché européen depuis 2012, mais qui continue à obtenir des dérogations annuelles par le ministère de l’Agriculture sous pression des planteurs de canne. Et ce Dicamba, objet de milliers de plaintes de paysans aux États-Unis ?
Pour savoir ce qui se passe vraiment à La Réunion, il faudrait commencer par chercher. La seule certitude, c’est que les eaux de l’île sont gravement polluées. Les derniers rapports officiels montrent la présence de dizaines de pesticides dans la plupart des eaux de surface ou souterraines. Et parmi eux, des molécules pourtant interdites, comme le métolachlore ou l’atrazine déséthyl, métabolite de l’atrazine.
Que font nos responsables ? À peu près rien, ce qui donne une idée de la puissance des lobbies. Dans le journal en ligne Zinfos974, je lis ces mots tout de même sidérants : « “Il n’y a pas d’analyse de contamination du sol par les phytosanitaire”, nous précise la chambre d’agriculture. » De son côté, l’Observatoire réunionnais de l’air admet sans hésiter : « Pour l’instant, nous ne réalisons pas de surveillance de pesticides dans l’air. » Faute de moyens. Quant à l’ARS, elle s’estime incompétente pour parler de la question.
La réalité est simple : on a cassé le thermomètre, et dès lors, personne ne peut dire quelle est la contamination réelle de cette île chère à mon cœur. Compte tenu des quantités énormes de pesticides épandus — les classements régionaux placent La Réunion au 1er rang —, il est certain que la situation est grave…
… C’est le moment ou jamais de soulever le couvercle du mépris, et de se lever en masse. Pacifiquement, mais sans reculer. On ne peut plus attendre…
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