Culture

« La culture martiniquaise mérite mieux que des polémiques orchestrées »

Serge LETCHIMY, Président du Conseil Exécutif de Martinique, clarifie la politique culturelle mise en place pour la Martinique depuis 2021 en réponse au manifeste publié par le collectif des professions du spectacle vivant. Extraits.


Le collectif des professions du spectacle vivant

… Le Collectif a étudié le volet culture du budget primitif 2025 de la Collectivité Territoriale de Martinique.

Les professionnel.le.s, qui n’ont pas été consulté.e.s en amont, dans une sage perspective de co-construction, notent que l’investissement dans la culture est exclusivement compris en termes de rénovation et de construction de bâtiments, et jamais en termes d’investissement dans la création.

Pour nous, un pays qui fait confiance à l’humain, à son identité et à son génie créatif ne peut se satisfaire d’une politique culturelle du tout-béton.

Seules, en effet, les créations contemporaines permettent de se représenter l’identité martiniquaise dans son actualité, que traversent désormais les questions de la vie chère, les questions de genre, de nouveaux rapports à l’ancestralité et à la spiritualité, de nouveaux rapports au corps, au politique, au climat, à la technique, à la science et l’information, de nouvelles formes de résistance à la puissance des grands pays…

Nous disons que confondre identité et patrimoine est une faiblesse de la pensée. Et peut-être même l’indice d’une incapacité à vouloir faire le moindre effort pour saisir, une fois pour toutes et sérieusement, en quoi consiste la fonction sociale de la création artistique, et des artistes qu’on croit pouvoir réduire à des animateur.ices de bourgs et à des gadgets pour touristes.

Le patrimoine et le matrimoine, c’est le passé ; un passé qu’il faut évidemment et impérativement conserver. Non comme unique horizon pour le pays. Mais comme témoin de ce que nous avons été capables collectivement de créer…

L’identité, et c’est pourquoi elle est une source inépuisable d’inspiration et de désaccord fécond, est toujours actuelle. Et actualisée. Elle est vivante, mouvante, dynamique, plurielle et en perpétuel devenir. Elle est sans cesse réélaborée par les artistes, dont c’est la fonction première et collectivement indispensable…

Pour nous, une société vivante et confiante dans ses forces créatrices n’est pas enfermée dans un passé figé. Elle regarde et utilise le passé pour nommer son présent. Et elle va vers demain.

Le matrimoine et le patrimoine de demain, ce sont les œuvres d’aujourd’hui.

Pas de création, pas d’identité. Pas de création, pas de pays Martinique continuant à s’adresser à lui-même et à exister, au présent, aux yeux du reste du monde.

Sur le fondement de ces principes, le Collectif demande que la politique culturelle de la CTM, qui est notre maison commune, cesse, d’une équipe à l’autre, de tout miser sur le béton et le passé, et fasse davantage confiance à l’humain et à la création vers laquelle il faut, d’urgence et massivement, réorienter une part des moyens déjà votés…

La Collectivité, si elle veut enfin entrer dans le 21ème siècle culturel, doit apprendre à faire confiance au pays. Et se garder d’utiliser les ressources, de plus en plus contraintes, pour affaiblir et faire mourir le secteur professionnel, en le concurrençant, de manière de plus en plus préoccupante, dans ses activités spécifiques de conception artistique, production, programmation, diffusion de spectacles, organisation de festivals…


Le Président du Conseil Exécutif de Martinique

C’est avec un esprit ouvert et collaboratif que j’ai parcouru, avec attention, les propositions de votre « Manifeste pour une refondation de la politique culturelle en Pays Martinique » et vous en remercie. Il est certain que la Collectivité que je préside est sensible à l’appel à l’aide que vous lancez…

Depuis le début de ma mandature, j’ai souhaité affirmer la culture comme déterminante dans le développement de la Martinique. Je tiens à vous assurer que les équipes travaillent à l’élaboration d’une nouvelle vision de la politique culturelle dont nous ne saurions vous écarter. Je crois sincèrement que l’avenir des filières artistiques et culturelles dépend de cette co-construction…

La CTM est et restera un partenaire loyal et fidèle de la cause culturelle. A ce titre, nous sommes désireux de travailler de concert avec les acteurs afin de trouver ensemble une issue favorable dans un contexte ô combien difficile.

… Toutefois, si les objectifs que vous reprenez et les propositions que vous formulez semblent intéressantes et peuvent être partagées, je constate que vous réduisez votre réflexion aux spectacles vivants avec des arguments qui me semblent parfois contestables. Vous laissez penser que rien n’est fait en matière de culture en Martinique et il apparait crucial de rappeler, avec force, certains faits et réalités.

Depuis 2021, consciente que l’accompagnement du monde culturel ne se limite pas aux stricts financements, la CTM a engagé une politique culturelle ambitieuse et structurée…

Pour les acteurs culturels

L’accent a été mis sur l’accompagnement de structures publiques et privées qui ont pour vocation de structurer les filières par leurs missions de soutien à la création, à la diffusion, aux résidences, à la recherche, à la professionnalisation et à la transmission contrairement à ce que vous affirmez…

Ce dispositif… couvre 6 domaines différents : le spectacle vivant, les arts visuels, la littérature, les événements culturels et l’aide à l’acquisition d’équipements culturels. Entre 2021 et 2024, 688 bénéficiaires ont été accompagnés pour un total de 10,3 millions €, soit en moyenne 2,6 millions € investis chaque année…

Le soutien au spectacle vivant s’est renforcé avec l’adhésion de la CTM au GIP Cafés Cultures en 2022, permettant de prendre en charge jusqu’à 60 % des coûts salariaux des artistes se produisant dans les cafés, hôtels et restaurants…

La structuration de la filière cinématographique et audiovisuelle constitue un autre axe majeur du projet culturel de la Collectivité. Un partenariat renouvelé avec l’État et le CNC pour la période 2023-2025 permet d’accompagner une trentaine de projets chaque année, couvrant l’écriture, le développement et la production. La CTM y consacre 1,3 million d’euros par an soit 72% de l’enveloppe globale, notamment pour soutenir des œuvres comme la série Tropiques Criminels…
En complément de cette convention, un appel à projet a également été lancé en partenariat avec Canal + Antilles Guyane pour le soutien aux courts-métrages et documentaires avec plus de 193 000 € alloués aux projets lauréats.

Pour les étudiants et le jeune public

… Depuis 2021, 100 étudiants ont bénéficié d’une aide financière, pour un montant total de 1,5 million €.
L’éducation culturelle a aussi bénéficié d’un renforcement important. En 2022, des ateliers artistiques ont été intégrés dans 14 collèges, impliquant 700 élèves. La Collectivité a investi 70 000 euros pour la rémunération des artistes intervenants… Un hommage à Marcel Manville a été organisé, avec la participation de 300 lycéens issus de 5 établissements.
En termes d’enseignement supérieur, ce sont plus de 3 millions € par an qui sont dédiés au Campus Caribéen des Arts qui accueille plus de 150 étudiants, artistes en herbe pour des formations de 3 à 5 ans en art, design objet et design graphique.

Pour les Martiniquaises et les Martiniquais

Dans le cadre de la valorisation du patrimoine et de la transmission des savoirs culturels, la CTM a lancé en 2022 le festival « Se Ta Nou Menm », un projet structurant dédié aux traditions musicales, aux danses, aux arts de la parole et à la culture orale. Ce festival a couvert plus de 25 communes, mobilisé 500 artistes chaque année et accueilli un total de 30 000 spectateurs. Près de 300 jeunes de 6 à 15 ans ont bénéficié d’ateliers et d’interventions pédagogiques. Un budget de 245 000 € a été investi annuellement pour soutenir cette initiative, qui se poursuivra en 2025…

Depuis 2021, l’initiative Mwa Lang Kréol La a permis d’organiser chaque année de nombreuses manifestations, de proposer plus de 42 interventions en milieu scolaire, avec un investissement annuel de 85 000 € et, afin de préserver et de promouvoir la langue créole, la Collectivité mettra en place le GIP Kay Lang Kréol La au cours du 2ème semestre de l’année 2025.

… Tropiques Atrium Scène Nationale, bras armé de la collectivité en matière de développement culturel, propose chaque année une saison pluridisciplinaire…  qui se structure autour de plusieurs axes majeurs à travers des festivals (CinéMartinique Festival, Martinique Jazz Festival, Festival transversal CEIBA), des temps forts culturels (Fenêtres sur Haïti, Cycle Rézistans, Circ’ulez il y a tout à voir, Semaine classique et lyrique), un programme de formation et d’accompagnement (résidences, productions, coproductions, soutien au spectacle vivant), une saison dédiée au cinéma (avantpremières, rencontres professionnelles et projections), une programmation arts visuels (expositions à l’espace Christiane Eda-Pierre, La Véranda et Arsenec), une action de territorialisation, avec une salle mobile de 300 places et des interventions en communes et un volet éducatif… Le budget qui y est consacré est en moyenne de 2,9 millions € en fonctionnement…

L’accessibilité des musées… est et restera également une priorité pour notre mandature. Entre 2021 et 2024, 12 000 élèves ont été accueillis dans les musées et domaines. La fréquentation globale est passée de 30 000 visiteurs en 2021 à plus de 72 000 en 2024. Les recettes… ont quasiment doublé en 3 ans, passant de 100 000 € en 2021 à plus de 180 000 € en 2024…

Face à ces chiffres, je ne peux pas vous laisser dire que les infrastructures ne représentent qu’une « politique culturelle qui repose sur le bâti… en soutien à la filière BTP ». C’est inexact et réducteur. L’investissement dans ces outils structurants est définitivement au service du développement culturel. Les infrastructures représentent des lieux forts d’expression de la création et d’accessibilité de la culture au plus grand nombre. Sans infrastructure, l’expression culturelle serait limitée. Les infrastructures culturelles sont des piliers essentiels de la transmission et de la démocratisation artistique…

Aussi, forte d’une vision culturelle beaucoup plus large, la CTM continuera à moderniser des sites existants et continuera à concevoir des projets structurants pour le péyi Martinique.

Cette politique de refonte des infrastructures culturelles propose principalement sur des financements d’investissement adossés aux fonds européens, non disponibles pour un accompagnement des acteurs et projets culturels qui relèvent pour leur part de financements en fonctionnement. Parmi ces projets, on retrouve notamment la réhabilitation du Centre de Découverte des Sciences de la Terre, de la Maison des Volcans et de l’Observatoire du Morne des Cadets, pour un montant de 2,9 millions €. La construction du Conservatoire de musique, de danse et d’art dramatique, pour coût de 7,5 millions €, est également en cours, avec plus de 3 millions pris en charge par la CTM et une livraison prévue en 2025. Le Centre d’Interprétation du Patrimoine Culturel Immatériel, prévu en 2028, représente un investissement de 20,4 millions € et la réhabilitation de la Maison d’Aimé Césaire est estimée à 2,1 millions €.

Ces chiffres témoignent de l’engagement massif de la CTM en faveur de la culture, sur tous les fronts. La volonté d’accompagnement est une réalité incontestable, appuyée par des financements et des dispositifs concrets qui renforcent l’accès à la culture pour tous. Il est également important de rétablir la vérité face aux accusations infondées concernant le soutien de la CTM à ETC Caraïbe. Les chiffres sont clairs et incontestables.

Entre 2019 et 2020, cette association a perçu moins de 22 000 € pour le financement de ces actions. Depuis 2021, ce montant a été multiplié par 10 avec un accompagnement de plus de 253 000 € pour les Théâtrales et les Rencontres des écrivains, son programme d’actions et l’appel à projets « Césaire, autre horizon » dont elle est une des lauréats.

L’implication de la Collectivité n’est donc pas à remettre en question dans le soutien à la création artistique et littéraire, bien éloignée de l’absence de subvention constatée de la part de l’Etat que vous n’osez pas critiquer…

Notre détermination ce n’est pas simplement d’installer une politique de guichet mais de créer les conditions d’un développement durable de la culture capable de faire identité. La culture martiniquaise mérite mieux que des polémiques orchestrées. Elle mérite rigueur, engagement et responsabilité.

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